Chapitre 21

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Axel

Le problème avec les souvenirs lorsqu'on a un frère jumeau, c'est qu'ils sont faussés ; à un moment ou à un autre, on finit toujours par être confus. Je suis certain d'avoir les idées claires et pourtant, aujourd'hui je me suis demandé si je ne m'étais pas approprié l'un des souvenirs de mon frère. Harry s'est fait opérer de l'appendicite il y a des années. Je le revois à l'hôpital à essayer de ne pas rire tellement il avait mal et que je voulais lui changer les idées en faisant le pitre. Je me revois dire à maman que c'était injuste que je n'aie pas eu aussi l'appendicite parce que mon frère allait avoir une cicatrice que je n'aurais pas et que je ne voulais pas qu'il ait mal tout seul. J'avais tellement agacé mes parents avec cette histoire de cicatrice sur le retour de la maison que mon père m'avait menacé de m'en faire une lui-même avec son couteau si je ne la fermais pas. Mon souvenir s'arrête là, exactement quand mon père agite son canif de poche devant mes yeux en me hurlant de la fermer. Son haleine pue l'alcool. Je m'en souviens. Ses yeux sont haineux, cernés de noir. J'ai eu peur, je crois. Mais je n'arrive pas à avancer dans ce souvenir parce qu'il est bloqué. Comme s'il n'avait pas de fin. Je ne me souviens même pas avoir été chercher Harry, ni même d'une quelconque convalescence. Là où je suis confus c'est que j'ai moi aussi une cicatrice sur le bas ventre. J'ai l'impression qu'elle est là depuis toujours et pourtant, lorsque Clarissa m'a demandé comment je l'avais eu, j'ai été incapable de lui répondre. C'est là qu'est ma confusion : est-ce que c'était Harry qui s'était fait opérer de l'appendicite ou est-ce que c'était moi ? Mon père n'irait jamais aussi loin, c'est impossible. Mais le souvenir dans la voiture est tellement net que je suis quasiment sûr de l'avoir vécu.

« Je ne m'en souviens plus, j'ai fini par répondre.

– On dirait l'appendicite, elle dit tout de même.

– Oui. On dirait. »

Il y a un long silence durant lequel elle caresse le trait fin sur mon ventre du bout de son doigt.

« C'est étrange. Parfois tu détestes que je la touche, parfois tu ne dis rien.

– Certainement que parfois elle me rappelle de bons souvenirs tout comme parfois elle m'en rappelle des mauvais. »

Elle a hoché la tête, passé son bras autour de ma taille et s'est blottie contre moi.

« Tu crois qu'on va rester ensemble toute notre vie ?, elle a demandé.

– Bof, j'sais pas. On est un peu jeunes pour y penser, non ?

– Mais si ça arrive ? Imagine.

– On aura plein de trucs à raconter à nos enfants.

– Par exemple quoi ?

– Comment leur mère était chiante avec ses "imagine qu'on reste ensemble toute notre vie"... »

Clarissa a éclaté de rire et je l'ai regardé un moment avec envie. Ses yeux pétillaient, son sourire était étincelant. Quand j'ai embrassé ses lèvres, mon cœur a cogné plus fort et l'espace d'une seconde, je me suis véritablement demandé ce qu'il se passerait si nous finissions nos jours tous les deux. Je crois que j'ai trouvé ça agréable et paisible. Je crois que ça m'a rassuré.

« Ça te fait pas bizarre d'avoir ton frère dans le voisinage ?, elle m'a demandé après un moment.

All Secrets Have A HomeWhere stories live. Discover now