Chapitre 11

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Mars

         Mars s'engagea dans la grande maison à la suite de la jeune fille pétillante. Un brouhaha étouffé lui parvint depuis le sas où elles avaient atterri, mais avant qu'elle puisse en déterminer l'origine, sa guide passa la seconde porte, l'entraînant avec elle.

Et elle pénétra dans "l'arène".

Mai

         La guéparde attendait. Comme elle le faisait à chaque fois que quelqu'un semblait passer près de l'endroit où elle se trouvait. La patience faisait partie des qualités innées qui lui étaient accordées et c'était bien normal. Certaines chasses pouvaient durer des heures entières, et pour le coup, elle désirait se faire une idée de son environnement, à son rythme et sans se faire surprendre. Donc elle se figeait souvent depuis qu'elle était sortie du box.

Au fond de l'animal, une petite voix, celle de son alter ego humain, tenta de se faire entendre. Une chasse ? Quelle chasse? puis en l'absence de réponse, Bon sang, laisse moi sortir d'ici si c'est pour faire n'importe quoi!

La féline se contenta de bailler en secouant la tête tout en lui transmettant ses pensées. Elle ne pouvait pas lui laisser les commandes. Après tous ces printemps enfermée, à elle d'en profiter un peu. Elle dormait au fond de la jeune femme depuis trop longtemps. Heureusement qu'on les avait amené ici, elle et sa partie humaine car cette prison de chair commençait à la faire devenir folle. La proximité d'autres métamorphes avait enclenché la transformation, la libérant enfin. Et elle comptait bien essayer de rattraper les années perdues. Pendant toutes ces années, c'est elle qui avait observé tous ces faits et gestes, frustrée de ne pouvoir intervenir pour l'aider. Elle avait des crocs, elle. Des griffes.

Lorsque des petits morveux l'avait insulté à la sortie de l'école, elle avait rugit de colère, sans rien pouvoir faire d'autre, se débattant vainement dans sa cage intangible.

Lors de ces exposés que redoutait tant la jeune fille, elle aurait voulut lui donner ses forces même si le concept de gêne et de timidité lui échappait.

Au lieu de cela, elle avait dû tout observer, et ce sans pouvoir agir.

Elle, félin féroce, était restée sans rien faire, mais ce temps était révolu. Elle allait enfin pouvoir aider et rassurer. Tant pis pour les dommages collatéraux.

C'est ce qu'elle expliqua à sa partie humaine. Celle-ci n'apprécia pas vraiment de perdre le contrôle et protesta un peu, mais en vain. La guéparde lui fit comprendre qu'elle la laisserait bientôt sortir mais que pour le moment c'était elle, la chef.

Des pas qui se rapprochaient dangereusement de sa position lui firent dresser les oreilles. Ce qui la mit plus à l'affût que les fois précédentes, ce fut le silence qui suivit le bruit de pas. Comme si la personne s'était volatilisée ou...

Malgré sa vigilance, elle ne remarqua l'homme que lorsqu'il  fit - volontairement - crisser le gravier sous ses pas, déjà beaucoup plus proche qu'elle ne l'aurait voulu. Des cheveux bruns, une peau bronzée, une beauté sauvage et des yeux sombres fixés sur elle.

Elle cracha. Un avertissement dont il ne prit pas compte car il s'accroupit à ses côtés alors qu'elle commençait à grogner. Pour seule réponse, elle le vit approcher sa main de sa tête et il n'en fallut pas plus pour qu'elle s'affole et lui donne coups de pattes et coups de tête pour essayer de faire tomber l'inconnu même si quelque chose lui soufflait que face à cet individu, sa réaction n'était pas la bonne. 

C'était d'ailleurs peine perdue : elle ne parvint même pas à le toucher, il s'était écarté d'elle à une vitesse ahurissante. La guéparde voulut alors faire volte-face pour le garder dans son champ de vision, mais, encore peu habituée à son nouveau corps, elle trébucha sur sa queue qui traînait derrière elle, et s'effondra en couinant. Qu'est-ce que ... Non mais oh, tu peux pas nous mettre la honte comme ça, s'écria sa partie humaine. La gêne de l'humaine réussi à submerger la guéparde, pourtant étrangère à ce sentiment. C'est pour cela qu'alors qu'elle se relevait maladroitement, elle ne fit pas attention à l'homme qui se rapprochait d'elle de manière quasi imperceptible. Elle ne s'en rendit compte qu'au moment où il empoignait sa nuque dans un signe clair de domination chez les métamorphes, elle le sentait.

Mais qui était-il pour oser faire cela ?

La guéparde se figea de surprise avant de ruer violemment tout en faisant mine de lui mordre le poignet. Son objectif n'était pas de lui faire mal, après tout lui-même n'avait rien tenté contre elle. Il n'esquissa pas un geste en réponse, et se contenta de lui grogner dessus. Un grondement bas et menaçant qui la défiait de ne pas lui obéir. Un bruit qu'elle n'aurais jamais du entendre de la bouche d'un humain.

 La guéparde cessa de se débattre quand, après lui avoir grogné dessus il commença à lui caresser l'échine de son autre main. C'était agréable. Il était la première personne à la toucher. Son premier contact. Personne ne pouvait lui reprocher ce qu'il se passa ensuite. La féline puissante, sans peur et féroce qu'elle était roula sur le flan gauche, s'assit et passa la tête sous le menton de l'homme. Un fois. Deux. Et une troisième. Au fond d'elle elle pouvait entendre sa partie humaine fulminer et grogner. Espèce de traînée ! Bouge tes grosses fesses poilues au lieu de rester assise là, à réclamer des caresse comme un gentil toutou !

La féline était on ne peu plus d'accord avec elle. Elle aurait du partir. Elle aurait du bousculer l'inconnu et prendre la fuite.

Seulement, elle sentait au fond d'elle-même qu'il ne lui voulait aucun mal. Elle le savait. De toute façon elle était parfaitement capable de se défendre, c'est juste que, là, tout de suite, elle n'en avait aucune envie. En plus, comme s'il lui fallait une raison de plus pour rester, l'homme se mit à ronronner. Alors même qu'il était sous forme humaine.

La main de l'inconnu se resserra sur la nuque de la guéparde, et il lui mordit l"oreille, joueur. L'animal se figea puis gronda en levant de grands yeux vers lui.

Il l'avait mordu. Sa partie humaine lui cria de fuir. Il va te manger idiote ! Mais la féline savait ce qu'il en était. Jouer. Il voulait jouer avec elle. Dans les yeux sombres de l'homme, une interrogation, un défi.

Elle se remit sur ses quatre pattes, s'éloignant de lui. Elle s'aplatit au sol et releva la croupe en l'air, signe qu'elle n'attendait plus que lui. Il se releva et dans une explosion de poussière d'argent, laissa place à son animal. 

Un puissant léopard était apparu à la place, et sa beauté éclipsait presque celle de son homologue humain. Presque.

Celui-ci, la guéparde comprenait ses intentions, et, lorsqu'il lui sauta dessus pour la renverser, elle se laissa faire avant de se retourner pour lui mordiller l'oreille.

Petit à petit, elle oublia toute prudence au profit du jeu. Elle se sentait en sécurité en compagnie de l'autre félin.

 Il coururent jusqu'à la barrière les séparant de la forêt, passant devant les bâtiments, ainsi que plusieurs personnes qui n'esquissèrent pas un geste pour les freiner. Il s'enfoncèrent ensuite  entre les troncs, évitant avec une grâce toute féline les racines, branches basses ou tombées au sol. Nulle peur n'assaillit la guéparde lorsque l'autre félin disparu un moment de sa vue. Elle se contenta de jeter une oeil derrière elle avant de se glisser comme un souffle sous les hautes racines noueuses du grand arbre, tout en guettant. Elle ne le sentit pour autant qu'au dernier moment, lorsqu'un vent soudain surgit de sa gauche : une seconde plus tard un coup de tête la faisait rouler sur le flanc et gronder de contentement. Jamais à aucun moment Mai ne s'était sentie si complète, si en accord avec elle-même, qu'ici en compagnie de ce compagnon de meute, que pourtant, elle ne connaissait que sous une seule de ses formes.

Mai se sentait à cet instant, simplement et brutalement heureuse et elle aurait souhaité que ce moment ne connaisse pas de fin. Ils poursuivirent leurs jeux et leurs petites chasses - un échec pour Mai - un moment avant qu'ils ne s'affalent chacun de leur côté sur un gros rocher chauffé par le soleil, le tout au beau milieu d'une clairière. 

Le cadre était idyllique. Il n'y eut aucun avertissement à ce qui allait suivre, excepté, peut-être, un léger froissement de l'herbe auquel la guéparde ne prêta pas attention.

Aussi les mâchoires d'acier qui s'agrippèrent à son échine avec la force d'une pince de chantier lui provoquèrent-elles un choc sans précédent.

MétamorphesWhere stories live. Discover now