Onze : L'aurore avant le chaos [réécrit]

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Rentre, entendis-je alors dans ma tête. 

      La voix, froide, désintéressée au point d'en devenir mauvaise, avait agi comme un calmant sur moi. L'idée de briser les règles qui m'entouraient depuis toujours avait soudain disparu. Face à ma mère, mes envies n'avaient pas leurs places. J'obéis donc, découragée. Je croisai sur le chemin du retour un groupe de Gamma de mon âge. Tous me lorgnèrent d'un regard amène et cela eut le mérite de me faire augmenter la cadence. Ces loups m'effrayaient. De toute mon enfance, je les avais aperçus depuis la fenêtre de ma chambre. Jouer avec eux avait été un de mes plus grands rêves. Mais, lorsque l'Alpha a décidé que j'étais dans mon droit de sortir dans le village, je ne fus pas accueillie comme je l'avais tant espéré. Je faisais peur. J'étais dangereuse. Mauvaise. Tels étaient les mots que je reçus lorsque je tentai de les connaître. Ils me rejetèrent sans me laisser une chance de prouver que j'étais plus que cette créature que tout le monde considérait comme fléau. Les seules personnes qui restèrent avec moi furent mon jumeau, Alexis, et une fille à peine plus âgée que moi, Myriam. Myriam était tout ce que je n'étais pas : aimée alors que j'étais haï, amusante alors que je me battais pour ne serait-ce qu'offrir un sourire à son attention. Comment faisait-elle pour être si heureuse ? Si entière ? Je lui avais posé la question une fois. Elle avait ri, avait essayé de me consoler en me promettant que j'arriverais à être comme je le souhaitais, un jour. Ce que je voulais, c'était de ne plus être ce que j'étais. 
         J'arrivai bientôt près de la maison. Un mâle Delta me salua d'un hochement de tête et je m'empressai de faire de même. Si les louveteaux de mon espèce m'ignoraient, les adultes, eux, avaient commencé à entretenir des rapports plus cordiaux avec moi lorsque Joe m'avait demandé  d'être sa partenaire, l'été de mes treize ans. Il en avait quinze à cet époque. Etant le fils aîné de l'Alpha et donc l'héritier de la meute, Joe était un loup de choix parmi nous. Je n'avais jamais pu parler avec lui avant, à cause de ma nature et mon manque d'importance par rapport à lui. Je l'avais toujours trouvé plaisant à regarder. Il était plutôt beau, d'un attrait délicat certes mais l'aura d'Alpha qu'il produisait faisait souvent frétiller les femelles de mon âge. Combien de fois Myriam s'était-elle extasiée devant les réactions de Joe ? C'était compréhensible, nous savions tous que l'aura n'était pas fait uniquement pour soumettre les loups d'une meute, il servait aussi à attirer une partenaire durant l'adolescence. Le lien d'âme-sœur avait beau être tout sauf une mythe, attendre notre moitié durant des années n'étaient pas dans les habitudes lupines. Nous pouvions avoir un ou plusieurs partenaires en attendant de rencontrer notre moitié, sans que cela ait une quelconque incidence sur le lien. J'avais beau rêvé de rencontré l'homme qui partage mon âme, lorsque Joe m'avait proposé de partager un instant de sa vie, j'avais dit oui. Et, presque deux ans plus tard, nous étions toujours ensembles.
   

       Mes pas finirent de me mener jusque chez moi. J'entrai sans bruit ni empressement, et me débarrassai de mon manteau ainsi que de mon manteau. Une odeur de chair cuite me parvint et je me dirigeai donc naturellement vers la cuisine. Mère était devant les fourneaux. Elle m'accorda un bref coup d'œil.

- Tu es en retard, cracha-t-elle froidement.

      Je baissai la tête sans répondre.

- Aide-moi au lieu de rester là à ne rien faire, m'ordonna-t-elle.

       Je la rejoignis et me mis au travail toujours sans ouvrir la bouche. Nous cuisinions toujours ensembles. Je faisais tout ce qu'elle me demandait et, en échange, elle m'épargnait ses piques incessantes et douloureuses. Ce contrait tacite entre nous marchait depuis plusieurs années et j'avais appris à me contenter de cela comme notre unique rapport. J'avais cessé de me questionner chaque jour. Non, il n'était pas obligatoire d'aimer ses deux enfants. On peut en apprécier qu'un seul. Même si l'autre en souffre.
         La porte d'entrée claqua soudain, accompagnée de voix fortes et amusées que je reconnus sans mal. Mon faux jumeau, Alexis, et Père. Mère cessa ce qu'elle était en train de faire pour aller les saluer et je restai là, seule, plongée dans mes pensées. Je finis le repas en solitaire, puis conviai toute la famille à prendre place à table. Je mangeai sans bruit, laissant les mâles de la famille raconter leur promenade de la journée, ma mère se plaignant de tel ou tel évènement, m'envoyant les deux ou trois remarques habituelles sous l'œil désintéressé de mon paternel. Alexis tenta de me défendre mais n'eut qu'une réplique cinglante, ce qui tua dans l'œuf ce moment de rébellion. C'était toujours ainsi. 
        Mon frère tenta de capter mon regard durant le repas, je fis comme si de rien n'était. Il avait beau être mon sang, j'avais beau l'aimer de tout mon être, la colère et la haine qu'il m'arrivait de ressentir à son égard m'avait fait mettre de la distance entre lui et moi lorsque nous étions plus jeunes. Mon esprit criait à l'injustice face à ce traitement de faveur dont il était gagnant, à la faiblesse qui prenait possession de lui lorsque j'avais eu besoin qu'il me défende, me soutienne. A ses regards coupables qui se détournaient de moi alors que je hurlais que je voulais juste être aimée.

      Nous finîmes de manger  dans cette même ambiance. Je débarrassai, ayant juste envie de voir cette journée se clore dans l'ordre habituel des choses.

      Cette soirée aurait pu se terminer comme toutes les autres. Mais ce fut impossible.

Mine [en cours de correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant