24. Culpabilité et égoïsme

24 3 21
                                    

Six heures trente. Matthias écrasa le réveil d'un coup de poing et grimaça quand il s'éclata sur le sol. Léna dormait encore. Comment était-ce possible ? L'alarme stridente lui avais immédiatement déclenché un profond mal de crâne. Un doute l'assaillit tout à coup. Et si...

Paniqué, le jeune homme se pencha doucement sur elle, retenant son souffle de crainte de ne pas sentir celui de sa copine. La joue collée sur son nez, il soupira de soulagement lorsqu'il sentit l'air chaud en sortir.

— Tu me chatouilles, marmonna Léna.

Elle le repoussa d'un coup de coude et dissimula sa tête sous la couette. Matthias put enfin respirer, rassuré. Depuis que Léna avait commencé son nouveau traitement, qu'on lui avait présenté comme risqué lors des premiers mois, le doctorant était sur ses gardes. À chaque fois que Léna ne lui répondait pas immédiatement, à chaque fois qu'il la quittait pour aller travailler, à chaque fois qu'elle sortait, il mourait de peur. S'éloigner d'elle était un véritable calvaire. Les pires scénarios se jouaient dans son esprit tourmenté toute la journée, il avait du mal à se concentrer sur ses étudiants et sur sa thèse, il courait dans le métro pour rentrer plus vite, il s'énervait sur le bouton de l'ascenseur et sur la serrure de la porte d'entrée et ne respirait à nouveau qu'en trouvant sa petite-amie pelotonnée dans le canapé, le sourire aux lèvres.

— J'ai pas envie d'y aller, soupira-t-il, comme tous les matins.

— Le devoir t'appelle. Maintenant, laisse-moi dormir.

— À quelle heure tu as rendez-vous pour ta prise de sang ? Je peux essayer de me libérer pour t'accompagner.

Léna rabaissa la couverture et lui sourit tendrement. Elle caressa sa joue du bout des doigts et l'embrassa. Depuis qu'elle avait commencé ce traitement expérimental, Matthias était au petit soin, peut-être même trop, mais elle devait bien avouer qu'elle aimait se faire ainsi dorloter. Pour une fois dans sa vie, elle n'était plus seule pour affronter la maladie. Ben avait eu raison de tout lui dire. Elle n'en aurait sûrement pas eu la force seule, par peur de le voir fuir, peut-être. Mais contrairement à son ex petit-ami, Matthias restait et l'aidait à affronter la fatigue et la douleur provoquée par les médicaments.

— Dix heures. Mais l'infirmière vient ici, alors ne t'inquiète pas, d'accord.

— Mais après ? La dernière fois, t'as mis deux jours à t'en remettre...

— C'était juste après la greffe, c'est normal. Ben doit passer, je ne serai pas toute seule.

Rassuré, le jeune homme put partir tranquille, quoique toujours un peu jaloux. Il dut se faire violence pour chasser cette idée de sa tête. Ben et Léna lui avaient prouvé plus d'une fois qu'il n'avait aucune raison de s'en faire.

Un livre sous le bras, Matthias trottina jusqu'au métro et s'appuya contre les portes à peine fermées derrière lui. Son directeur de thèse ne cessait de le harceler depuis un mois. Il devait rendre son manuscrit fin novembre et il lui manquait encore toute une partie. C'était mission impossible en trois semaines et il n'avait pas la tête à ça, mais il n'avait pas le choix s'il voulait conserver son poste d'enseignant. Alors il optimisait chaque seconde de sa vie, du saut du lit au coucher, se réservant tout de même quelques minutes de calme pour passer du temps avec Léna.

Depuis qu'elle avait été opérée, il sentait qu'elle s'affaiblissait. Il sentait en permanence une boule, de plus en plus imposante, au creux de son estomac. L'angoisse, la peur, la colère. Elle était censée aller mieux après cette greffe, pas revenir au point de départ.

Il réussit à lire encore quelques pages sur le chemin de l'université, mais dû se résigner à fermer son livre quand une pluie torrentielle s'abattit sur la ville. Trempé jusqu'aux os, il bouscula quelques étudiants pour gagner la salle des professeurs, mais manqua de faire demi-tour en voyant son directeur assis au fond, un café et un journal à la main. Accoudé à la photocopieuse, Matthias tenta de se faire discret et replongea dans sa lecture, mais c'était sans compter sur Emma, une autre doctorante avec laquelle il travaillait souvent. Cette dernière le salua, avec son éternelle délicatesse, par un coup de poing sur l'épaule.

Les rouages des coeurs brisésWhere stories live. Discover now