8. Syncope (3/4)

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À peine la porte de la chambre franchie, la fumée ambiante s'engouffra dans ses poumons, elle toussa, sous le regard moqueur de Matthias. Elle était ridicule. Trop parfaite pour être réelle. Elle ne fumait pas, elle ne buvait pas, elle souriait toujours, elle avait un compte en banque bien rempli, elle était intelligente, elle était polie, elle était douce, elle faisait rire ses amis. Elle n'était qu'une caricature. Il détestait plus encore ce genre de femmes. Ce qu'il aimait, lui, c'était les fêlures, elles le rassuraient, elles reflétaient la beauté du monde. Léna n'en avait aucune. Elle était aussi lisse et fade qu'une poupée de porcelaine, inutile et énervante. 

Un rictus narquois pinça ses lèvres lorsqu'un de ses amis bouscula Léna et renversa le contenu de son verre sur son chemisier. Matthias but une nouvelle gorgée de whisky. « Tu devrais arrêter de boire. » Comment se permettait-elle de le juger ? La colère se mêla à l'alcool dans ses veines. La mâchoire serrée, les poings compacts, il traversa le salon à grandes enjambées et se planter devant Ben. Ce dernier haussa un sourcil, aussitôt imité par Ilyes et Anis.

— T'étais obligé de ramener ta bourgeoise ? lui reprocha-t-il sèchement.

Ben roula des yeux. Il ne se donna même pas la peine de répondre. Rien de bon ne pourrait ressortir d'une dispute avec un Matthias alcoolisé et déprimé. Il y aurait les mots de trop, peut-être même quelques coups. C'était souvent Matthias qui frappait le premier. Ben évitait de riposter, il se contentait de le plaquer contre un mur ou sur le sol en lui braillant d'arrêter ses « conneries ».

— C'est bon Matt. Pose cette bouteille et va te coucher, conseilla Ilyes, lassé du comportement agressif de son ami d'enfance.

— Me donne pas d'ordre.

— C'est pas un ordre, mais un conseil, intervint Anis. Par contre, si tu continues comme ça, je te jure que c'est moi qui vais te coucher et ça va être nettement moins bienveillant. Alors arrête de boire et va t'isoler, t'es en train de vriller là.

Matthias les défia d'un sourire. Les trois autres se sondèrent en un regard. D'un hochement de tête, ils se mirent d'accord pour passer à l'action et stopper Matthias tant qu'il en était encore temps. Ilyes attrapa la bouteille, Anis et Ben lui empoignèrent chacun un bras. Il protesta quelques secondes, mais abandonna vite le combat perdu d'avance et se laissa traîner dans le couloir.

— Tu fais chier, mec, soupira Ben.

— C'est de la faute de ta blond...

— Arrête, lâche l'affaire avec Léna. Tu la connais même pas.

— Tu te rends compte que c'est lourd pour nous cette métamorphose en gros connard tous les ans à l'automne ? Merde, t'es pas un putain de gremlins ou une connerie dans le genre. Gère-toi. T'es plus un gamin, le sermonna Anis.

Matthias fuit leurs regards accusateurs. Ils se trompaient. Chaque année, à l'approche de la date anniversaire du départ de Calypso, il redevenait l'adolescent puéril, impulsif et désespéré qu'il était à l'époque. Il ne pouvait pas lutter. C'était plus fort que lui. Le désespoir le conduisait droit vers ce comportement abusif.

— Reprends-toi, asséna Ben, d'une voix éteinte.

— Hmm... marmonna Matthias, en s'écroulant sur son lit. Tu vas te mettre avec elle ? Avec Léna.

— Nan. Y aura jamais rien de plus que de l'amitié entre nous.

— Alors, pourquoi elle reste ? geignit Matt.

— Parce qu'on est amis. On n'abandonne pas les amis, déclara le grand brun lorsqu'il repensa aux confessions de Léna. Sinon ça ferait longtemps que tu te serais retrouvé seul.

Les rouages des coeurs brisésWhere stories live. Discover now