14. Les 400 coups (5/5)

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Ce fut au tour de Matthias de rouler des yeux. Émilie ne cessait de le harceler de questions et de remarques au sujet de la jolie blonde. Depuis qu'elle était rentrée, elle avait assisté à la naissance de leur amitié et à son renforcement, elle avait déjà imaginé le chemin qu'elle prendrait dans les semaines à venir.

— Bon, allez, raconte. C'était bien ta journée avec elle ? insista-t-elle en se laissant tomber dans le canapé.

— Hmm, c'était pas la joie non plus.

— Pourquoi ? Elle t'a mis un râteau ? se moqua Émilie. Je range ma robe de demoiselle d'honneur alors ? Dommage, elle était hyper canon.

Matthias manqua de s'étouffer. Alors elle avait remarqué l'espèce d'attirance qu'il éprouvait depuis quelque jours. Quelques semaines, en réalité. Depuis qu'il avait décidé de ne plus la haïr, en fait. Elle ne faisait que se renforcer au fil du temps et il ne pouvait plus le nier : elle lui faisait un effet particulier. Il perdait ses moyens en sa présence, pourtant il appréciait les rares moments où ils se retrouvaient seuls.

— Je le savais, elle te plait ! s'écria Émilie. Qu'est-ce que t'attends pour...

— C'est pas une bonne idée, soupira-t-il. Oui, elle me plait, mais c'est beaucoup trop risqué. Putain...

— Trop risqué ? s'esclaffa-t-elle. Eh, c'est pas une lionne, elle va pas te mordre.

— Non, mais elle va mou...

Matthias s'interrompit. Léna avait été claire, les autres savaient qu'elle était malade, mais ils ne devaient pas se douter qu'elle était mourante. Il ne mettrait pas son amitié en péril pour se confier à sa sœur. Le secret de Léna serait bien gardé, jusqu'au bout.

— Elle va quoi ? s'étonna Émilie.

— Rien... Y aura rien entre elle et moi, c'est tout. Et puis, ça se fait pas pour Ben.

— Rooo, Ben s'en remettra ! S'il avait dû se passer quelque chose entre eux, ce serait arrivé depuis longtemps. Moi, je te le dis, y a un truc entre vous...

— Hmm...

Même si ce n'était qu'une légère attirance, à peine naissante, Matthias se doutait qu'elle ne ferait qu'enfler. Comment ferait-il quand il n'arriverait plus à la réfréner ?

— Pourquoi tu ne lui proposes pas de faire le nouvel an avec nous ?

Le jeune homme haussa les épaules. Il n'y avait tout simplement pas pensé. Il imaginait mal Léna sortir en boite. Mais à partir de cet instant, il ne cessa de tourner et retourner la question dans son esprit. Durant toute la semaine qui suivit Noël, il retrouva Léna tous les soirs au Petit Dupleix. Ils y bavardaient durant des heures. Tout était sujet à discuter : la météo hivernale, les dernières actualités, le cinéma, les livres qu'ils avaient lus. Tout. Chaque jour qui passait lui donnait l'impression de mieux la connaître et de renforcer un peu plus les fourmillements qui lui chatouillait le ventre quand elle lui souriait. Bien souvent, il la raccompagnait chez elle, mais s'arrêtait sur le pas de la porte. Ses parents étaient encore là et il n'était pas assez fou pour s'y confronter encore.

Ce ne fut que la veille de la Saint-Sylvestre que Matthias prit enfin sa décision. Émilie le harcelait tous les soirs pour savoir s'il avait proposé à la jolie blonde de se joindre à eux, il esquivait toujours la question puisqu'il n'en savait toujours rien. Cette fois-ci, il avait décidé qu'il pourrait y répondre. Les parents de Léna venaient de quitter Paris et la jeune femme, bien qu'elle s'en sentit soulagée, s'en voulut de ne pas les suivre à New York. Elle en était certaine, elle ne reverrait sûrement jamais sa mère dont les jours étaient comptés. Les adieux auraient pu être déchirants, si seulement Catherine n'avait pas brusquement repoussé Léna quand elle avait essayé de la serrer dans ses bras une dernière fois. Sergueï avait esquissé une moue peinée, mais n'avait rien dit. Et ils étaient partis. Léna se retrouvait de nouveau seule dans son grand appartement, pleine de mélancolie. Alors, elle avait appelé son remède, celui qui parvenait à lui redonner le sourire depuis une semaine, qui comprenait sa douleur et tentait de la rassurer. Elle aimait sa maladresse qui le rendait si humain.

— Tadam ! s'exclama Matthias en brandissant devant lui un nouveau DVD, avant même de dire bonjour à son amie.

— Les 400 coups, lut Léna.

— Si tu oses me dire que tu ne l'as jamais vu, je repars direct chez moi.

Léna sourit, elle attrapa le film et s'empressa de le lancer tandis que Matthias s'installait dans le canapé. Elle le poussa doucement pour se faire une petite place à côté de lui et tira l'immense plaid en laine sur eux. Blottis l'un contre l'autre, ils ne quittèrent l'écran des yeux que pour se jeter quelques regards complices lorsqu'ils pouffaient de rire devant les frasques du jeune Antoine. Délicatement, l'air de rien, Léna glissa ses doigts entre ceux de son "ami". Son cœur battait trop vite, mais cette fois-ci, elle ne s'en inquiéta pas. La maladie n'avait rien à voir avec cette course effrénée. Matthias, lui, ressentait plutôt des fourmillements des pieds à la tête, jusque sur ses lèvres. Il n'osait plus détourner son attention de la télévision, de peur de croiser les yeux bleus de Léna et de s'y perdre trop longtemps pour en assumer les conséquences.

— Tu fais quelque chose demain soir, pour le nouvel an ? se décida-t-il enfin à lui demander alors que le générique de fin défilait.

Il n'avait plus écouté, ni même vu ce qu'il se passait depuis une bonne demi-heure, incapable de penser à autre chose qu'aux doigts froids de Léna entre les siens, à sa tête sur son épaule, à son nez qui lui chatouillait le cou à chaque fois qu'elle bougeait.

— Non, je n'ai rien de prévu, soupira-t-elle. À vrai dire, je n'ai pas vraiment la tête à faire la fête...

— Ah...

— Pourquoi ?

— Bah... hésita-t-il. J'allais te proposer de sortir avec 'Milie et moi, mais... enfin je comprends que ce soit pas vraiment dans tes plans avec la semaine que t'as passée.

Léna grimaça. Elle l'avait déçu et elle s'en voulut immédiatement. Elle aurait mieux fait de lui demander la raison de cette question avant de fermer définitivement la porte. Et puis, à bien y réfléchir, si elle n'avait pas spécialement envie de faire la fête, la faire en compagnie de Matthias changeait la donne.

— Où est-ce que vous allez ? l'interrogea-t-elle, l'air de rien.

— Si j'ai bien compris ce qu'a prévu 'Milie, on va d'abord dans un bar vers République et ensuite elle veut aller en boite.

Léna hocha la tête. Le programme ne lui plaisait pas. Si la soirée avait eu lieu chez Matthias, ou même dans l'appartement d'un ami d'Émilie, elle aurait changé d'avis, mais pas pour terminer la nuit dans une salle puante où se déhanchaient des gens ivres morts, sur une musique qu'elle qualifiait de "sauvage". Tant pis, elle resterait seule. Elle n'avait pas le courage de demander à Matthias d'annuler ses plans pour rester avec elle. Elle en mourait pourtant d'envie. 

Les rouages des coeurs brisésWhere stories live. Discover now