6. Aveux de faiblesse (2/3)

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Le grand brun posa sa bouteille sur la table basse et s'assit près de Léna dans le sofa au design épuré, peu confortable. Il lui adressa une moue désolée et s'affala contre elle. Léna plongea le nez dans sa boisson chaude pour échapper à son regard triste. Ben pinça les lèvres et prit une profonde inspiration. Il n'avait plus évoqué cette époque depuis des années.

— Je l'étais. Je suis guéri, aujourd'hui.

— Qu'est-ce que tu avais ? souffla Léna, sans oser relever les yeux vers lui.

— Une insuffisance rénale. J'ai passé une bonne partie de mon enfance à l'hôpital, pour les dialyses. Et puis, bah... un jour, ça n'a plus suffi. J'ai été greffé, y a une dizaine d'années et depuis ça va mieux.

— Je suis désolée, murmura-t-elle. Je ne pensais pas que tu...

Tout à coup, elle s'interrompit et fronça les sourcils. Elle avait toujours détesté être traitée comme une infirme. C'était pour cette raison aussi qu'elle cachait ses problèmes de cœur aux gens. Alors pourquoi réagissait-elle ainsi en apprenant que Ben avait souffert lui aussi ? Forcément, ça n'était pas marqué sur son front, et heureusement. Elle restait persuadée que la pitié du monde vis-à-vis des malades ne faisait qu'aggraver leur état. Ne les résumer qu'à leur statut de « pauvre chose fragile » ne les aidait pas.

— Et toi, alors ? lui demanda-t-il, d'une voix plus douce que d'ordinaire. Pourquoi tu prends ces médicaments ?

Léna détourna les yeux de sa tasse pour les fixer sur son ami. Les sourcils froncés, de petites ridules se formaient sur son front. Elle tomba dans ses iris noirs. Ou du moins, elle les avait toujours crus aussi sombres que la nuit, elle y découvrit de petits éclats dorés par endroit. Ben avait peut-être le droit de savoir, après tout. Elle soupira et se laissa mollement aller sur le dossier du canapé.

— Si je t'explique tout, pourras-tu le garder pour toi ? Je n'aime pas trop en parler autour de moi.

— Évidemment. Je serai muet comme une carpe.

— Ça s'appelle « le syndrome de Plenske », commença-t-elle. C'est une maladie orpheline et héréditaire qui touche le cœur. Elle n'est véritablement connue que depuis trente ans, mais les chercheurs ne savent pas vraiment à quoi c'est dû, ni comment la soigner. Enfin, ils ont bien trouvé des traitements pour nous aider à vivre avec, mais ce n'est pas efficace aussi longtemps pour tout le monde. Arrive toujours un moment où ça ne fonctionne plus. Et alors, il faut trouver autre chose.

— Et... ça fait quoi ? l'interrogea-t-il, la gorge nouée.

Ben tourna la tête vers elle. Léna scrutait toujours le plafond, l'air perdu dans ses pensées. Il se mordit la lèvre. Il y avait une larme sur la joue pâle de la jolie blonde. Peut-être n'aurait-il pas dû lui poser la question ?

— C'est dégénératif. Mon cœur se dégrade avec le temps. Et ça me conduira vers... la mort, ajouta-t-elle, d'une petite voix.

Léna quitta les moulures des yeux pour les planter dans ceux, inquiets, de Ben. Il l'attira vers lui, d'un geste délicat et réconfortant. La jeune femme s'écrasa sur son épaule et soupira.

— Quand j'étais petite, j'ai souvent été hospitalisée, mais ça s'est aggravé. Jules a commencé, puis j'ai suivi...

— Jules aussi, il...

Léna hocha la tête, sans lui laisser le temps de finir sa phrase. Ben resserra son bras sur ses épaules, désolé d'apprendre que le jeune homme plein de vie qu'il avait connu souffrait, lui aussi, de ce syndrome qui menaçait sa vie.

— J'ai eu plus de chance que lui, gémit Léna.

Ben se figea. Que devait-il comprendre ? La longue plainte qui s'éleva de ses lèvres fines suffit à lui répondre. Que pouvait-il dire ? Il avait certes connu les difficultés de la maladie, mais jamais le deuil d'un frère. Il n'osait imaginer perdre Maxime, son petit frère.

— Tu dis que tu as eu plus de chance, ça veut dire que... tu es guérie ? se risqua-t-il à demander.

Léna haussa les épaules. Guérie ? Elle n'en savait rien. Probablement pas. Elle était une des rares personnes atteintes de ce syndrome à bénéficier d'une greffe, les médecins n'avaient pas assez de recul sur la situation. D'après son cardiologue : non. Son corps attaquerait son nouveau cœur, comme il l'avait fait avec l'ancien. Cette opération ne lui garantissait pas une longue vie heureuse, seulement quelques années de sursis. Guérie ? Ce mot ne pourrait jamais exister dans son vocabulaire. Elle le savait, il n'y avait pas vraiment d'espoir pour elle. Le grand brun caressa doucement la joue de Léna. Le silence enfla. Dix secondes. Vingt. Trente. Un sanglot le brisa, vite étouffé dans le cou de Ben.

— Je suis désolée, chuchota-t-elle. J'ai été si égoïste, je n'aurais pas dû te faire entrer dans ma vie. Parce qui si je...

— Arrête, qu'est-ce que tu racontes ? Ne dis pas n'importe quoi...

— C'est juste un constat. Je n'aurais jamais dû m'autoriser à te parler et...

Ben se tortilla contre elle pour la forcer à relever la tête. Un doigt sous son menton, il l'empêcha de détourner le regard. Comment pouvait-elle affirmer cela ? Elle soupira. Il ne réfléchit pas une seconde de plus. Son nez effleura le sien. Ils retinrent tous deux leur souffle, comme s'ils attendaient de voir lequel d'entre eux franchirait en premier cet infime pas.

— Et si je meurs aussi ? haleta-t-elle.

Ben serra les dents. Il en était hors de question ! Et même si ça arrivait, elle n'avait pas à se soucier de l'impact que ce tragique événement aurait sur sa vie à lui. Cela ne devait pas influencer leur présent. Le seul moyen qu'il trouva pour le lui prouver fut d'écraser ses lèvres sur les siennes. D'abord surprise, Léna ne réagit pas. Mais quand elle prit conscience de ce qu'il faisait, elle le repoussa brusquement. Impossible ! Il ne pouvait pas.

— Ben... Je suis désolée, bredouilla-t-elle. Mais...

— C'est bon, j'ai compris, dit-il, d'une voix teintée de déception.

— Excuse-moi si je t'ai fait croire que... Pardon, souffla-t-elle.

Le jeune homme se contenta de s'avachir un peu plus dans le moelleux du sofa, sans oser regarder Léna. Il hocha la tête, à contrecœur. Que pouvait-il faire d'autre, de toute manière ? Elle ne pouvait pas être plus claire. Mais il avait placé tant d'espoirs dans cette relation, qu'il imaginait vivre avec elle.

— Tu m'en veux, remarqua-t-elle.

— Bien sûr que je t'en veux ! s'énerva-t-il. Tu m'as tapé dans l'œil, OK ? Ouais, j'aurais aimé qu'il se passe quelque chose entre nous. Mais apparemment, pas toi.

— Ben...

— Laisse tomber, soupira-t-il. On va faire comme s'il ne s'était rien passé. S'il te plait... Et tu ne parles de ce râteau interstellaire à personne.

Il pointa le doigt sur son nez, en guise de mise en garde. Elle loucha dessus et hocha la tête à toute vitesse. Il sourit, malgré sa déception. Elle aussi. Il pouvait au moins se targuer de lui avoir changé les idées. Ben eut tout de même un pincement au cœur, quand elle se blottit de nouveau contre lui, et crocheta ses doigts fins sur son pull. Ils restèrent ainsi de longues minutes, sans trop oser bouger, de peur de raviver leur gêne. Ben ressassait : l'espace d'un instant, il y avait vraiment cru. Comment avait-il pu se tromper à ce point ?

Les rouages des coeurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant