Les rouages des coeurs brisés

22. Besoin de réponses

Les jours passaient et se ressemblaient tous. Seule la barbe de plus en plus épaisse de Matthias témoignait du temps écoulé. Léna tentait par tous les moyens de le tirer de sa déprime, mais il n'y avait rien à faire. Il passait du lit au canapé, et du canapé au lit, inlassablement. Parfois, il faisait un détour par le balcon pour y fumer une cigarette ou pleurer à l'abri du regard compatissant de sa petite-amie. Mais toujours, il revenait à ce même chemin vicieux : lit-canapé-canapé-lit.

Le même schéma se répéta durant deux mois. Léna voyait approcher la rentrée universitaire sans que Matthias ne s'y soit préparé. Elle l'avait connu si appliqué dans son travail, passant des heures à corriger les devoirs de ses étudiants, à préparer ses cours pour les rendre compréhensibles et agréable. Il aimait son métier, mais semblait s'en être totalement désintéressé depuis l'annonce du décès de Caly.

— Matt, habille-toi, lui ordonna-t-elle un jour.

— Pourquoi faire ? marmonna-t-il sans même la regarder.

— Emilie t'attend en bas. Vous allez chercher des réponses à tes questions.

Le jeune homme fronça les sourcils. Des réponses à ses questions ? Il y en avait bien trop et il doutait en trouver une qui lui convienne. Peut-être n'y en avait-il aucune. La lettre était assez claire. Caly s'était ôté la vie, elle avait écrit ces mots avant de se tailler les veines et Daniel avait posté l'enveloppe tachée de sang. Mais Matthias avait beau lire et relire les dernières paroles de sa sœur, il ne comprenait toujours pas pourquoi elle avait fait ça. Alors il ressassait ses doutes à voix haute, pestant contre son père, contre Daniel, le copain de Caly. Cet homme était une ordure. Il avait dû être heureux de se débarrasser de Calypso et d'envoyer la terrible nouvelle à sa famille.

— Elle a trouvé l'adresse de Daniel, l'informa Léna. Alors, vous allez aller le voir et vous allez lui poser toutes vos questions.

— C'est pas une bonne idée. Si je le vois, je le tue, gronda Matt.

Léna leva les yeux au ciel et se contenta de lui jeter un jean et un t-shirt.

— Et puis, toi, tu vas faire quoi pendant que je serai pas là ? l'interrogea Matthias, pensant tenir un argument pour ne pas rejoindre Emilie. Je croyais que tu avais un rendez-vous chez le cardio' vendredi. Tu vas pas y aller toute seule.

— Ne t'inquiète pas pour moi. C'est juste une visite de contrôle, je peux y aller seule.

En réalité, la petite blonde était bien plus effrayée par cette consultation qu'elle ne lui laissait croire, mais elle s'était fait la promesse de préserver Matthias autant que possible. Il n'était pas en état d'apprendre que son état s'était brutalement dégradé au cours des derniers mois. Elle ne serait pourtant pas seule, Ben l'accompagnerait. Elle se garda d'en informer Matthias, dont la jalousie continuait à faire des ravages.

— Allez ! le pressa-t-elle.

— J'ai pas envie de partir loin de toi, geignit-il.

— Arrête un peu ton cinéma, vous partez trois jours tout au plus. Ce voyage te permettra peut-être de tourner la page, saisit l'occasion.

— Je vois pas comment je peux tourner la page. Puis ça te va bien de dire ça, toi. Ose me dire que tu ne penses pas à Jules tout le temps.

Léna soupira. Son frère occupait toujours un coin de son esprit, d'autant plus alors que son cœur lui jouait de plus en plus de tours, mais ce n'était pas pareil. Elle y pensait parce qu'il lui avait offert une vision très nette de ce qui l'attendait dans les mois à venir : malaises, douleurs, fatigue, hospitalisation, attaque... Elle aurait aimé pouvoir tourner la page, pleurer la disparition de son frère et reprendre le cours de sa vie. La situation ne le lui permettait pas.