5. Business (1/3)

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Hello,

Je profite d'un petit moment de répit dans mes travaux pour vous publier un bout de chapitre !
Promis d'ici quelques semaines je vais pouvoir publier régulièrement !

Bonne lecture
Bisous et poutous ❤️

Léna trouva enfin un rythme qui lui convenait : elle travaillait d'arrache-pied toute la journée, enchaînait les rendez-vous et les appels téléphoniques, puis le soir venu, elle rejoignait ses nouveaux amis au Petit Dupleix.

Son père, depuis New York lui envoyait les instructions concernant la réfection d'un immeuble qu'il avait acheté pendant la convalescence de sa fille. Rien ne se passait comme prévu, il enrageait. Léna dut alors se saisir du dossier et remettre de l'ordre dans les équipes affectées à cette tâche. Elle commença par Madame Giraud, la gestionnaire de l'agence, qu'elle terrorisa durant deux bonnes heures. La quadragénaire au caractère bien trempé s'écrasa devant la petite blonde à l'air si doux lorsqu'elle lui rappela quelques articles de lois auxquels elle dérogeait. Elle acquiesçait chaque menace d'un signe de tête tremblant, griffonnait quelques notes sur une feuille et replaçait ses lunettes sur le bout de son nez d'un geste frénétique. Léna ressortit du bureau un sourire carnassier aux lèvres. Si d'apparence on pouvait la penser conciliante et gentille, dans le monde des affaires, elle tenait plus du requin que de la peluche.

Grisée par le sentiment de puissance que lui procurait la gestion de cet empire immobilier, Léna poursuivit sa journée auprès de son banquier. L'homme bedonnant savait que son emploi dépendait uniquement de sa bonne collaboration avec la jeune femme d'affaires. Il était prêt à toutes les courbettes nécessaires pour la satisfaire et ne lui refusait jamais rien. Léna méprisait plus que tout cette flagornerie. Son père lui avait ordonné quelques heures plus tôt de se positionner sur la vente d'un bâtiment haussmannien en plein cœur du deuxième arrondissement. Pas un bonjour, pas de questions quant à son état de santé, pas d'au revoir. Juste un ordre. Et elle l'avait exécuté sans ciller. L'absence de familiarité dans leurs échanges avait de quoi étonner, voire choquer ; mais, pour Léna, c'était un mail comme un autre, d'un collaborateur comme un autre. En affaires, il n'y avait plus de famille qui tenait. C'était la première règle que Sergueï lui avait apprise, lors de son stage au sein de la société familiale.

— Vous me ferez parvenir l'accord dans les plus brefs délais, conclut-elle son entretien.

— Oui, mademoiselle. Merci pour votre confiance, mademoiselle.

Léna grimaça quand il glissa sa main poisseuse dans la sienne et s'empressa de mettre un terme à cet entretien, qui avait bien assez duré. Bien loin d'en avoir terminé, Léna se rendit sur le chantier de son immeuble, dans le dix-septième arrondissement. À l'entrée de l'avenue de Villiers, elle se planta face à une grande bâtisse à moitié en ruines. Les lèvres pincées, elle nota chaque détail sur sa tablette. L'immonde monsieur Malinowski, le chef de chantier, ne conserverait pas longtemps son poste. Les travaux auraient pu commencer la veille, le résultat aurait été le même. Furieuse, elle entra dans l'immeuble d'un pas décidé. La plaisanterie avait assez duré. Elle soupçonnait Malinowski d'avoir profité de sa longue absence pour s'enrichir sur son dos, sans pour autant travailler pour elle. C'était une pratique courante dans le métier, certains ouvriers — qu'elle rémunérait pourtant — n'y œuvraient même pas, ce qui permettait à l'entreprise de cumuler plusieurs contrats en même temps. C'était ensuite au client de se battre pour obtenir les indemnités de retard. Lorsqu'il avait rencontré Léna avant son hospitalisation, il avait pensé avoir affaire à une ignorante qu'il pourrait tromper sans effort. Il n'allait pas tarder à le regretter. Léna enfila un casque de sécurité et suivit l'un des ouvriers dans le hall délabré. Ils avaient détruit le marbre qui ornait les murs. Des milliers d'euros envolés par négligence. Malinowski le lui paierait.

— Votre chef est-il là ? siffla Léna, interrompant les explications de l'ouvrier dans un français approximatif.

    L'homme la dévisagea d'un œil vide. Léna leva les yeux au ciel. L'agence de Madame Giraud avait toujours le don pour engager de la main-d'œuvre bon marché, peu qualifiée. Et voilà où ils en étaient. Appuyée contre la rambarde de l'escalier, les doigts pincés sur l'arête de son nez dans l'espoir de se calmer, elle bondit lorsque la main courante s'effondra.

    — Malinowski ! rugit-elle. Où est-il ?

— Mademoiselle Brocovitch, minauda le chef de chantier, un rictus doucereux déformant son visage dur.

— Ah ! Vous voilà enfin ! Pourriez-vous m'expliquer ce qu'il s'est passé ici ? La structure devrait déjà être terminée et je n'ai face à moi qu'un tas de ruines.

    Malinowski se décomposa. Il avait imaginé une rencontre bien plus agréable avec cette femme sublime qu'il ne pouvait s'empêcher de déshabiller des yeux. Léna prit sur elle pour ne pas le gifler. C'était le même cinéma à chaque rendez-vous : des regards lubriques, des gestes plus que déplacés et un paternalisme répugnant. Le Polonais la dégoûtait. Elle prit alors un malin plaisir à le remettre à sa place.

— Avez-vous les plans que je vous ai demandés ? réclama-t-elle, d'une voix cassante.

— Bien sûr, suivez-moi, grimaça-t-il avec le même air hypocrite que son banquier.

Malinowski posa une main calleuse au creux de ses reins — écœurant ! — et la conduisit dans le bazar qui faisait office de bureau. La pièce souffrait une chaleur épouvantable. L'air y était irrespirable, tant il y était saturé de poussière. Ou peut-être était-ce à cause des doigts du chef de chantier, qui s'égarèrent sur les fesses de Léna lorsqu'il la contourna pour sortir un feuillet de plan.

— Ne jouez pas ce jeu avec moi, tonna-t-elle. Mes avocats se feront une joie de vous traîner dans la boue.

L'homme déglutit et lui tendit les documents d'une main presque tremblante. Son apparence frêle, son teint pâle et ses grands yeux bleus lui avaient laissé entrevoir une certaine naïveté. Raté.

— C'est un véritable torchon ! s'indigna-t-elle, en dépliant les papiers. Vous vous moquez de moi, n'est-ce pas ?

Malinowski resta muet. Il ne faisait qu'appliquer les plans de l'architecte. Léna les examina d'un œil expert et blêmit. Elle les avait signés un an plus tôt. Elle avait donné son aval pour ce carnage. Comment avait-elle pu manquer à ce point de scrupules ? Cela ne lui ressemblait pas. Et si son père l'apprenait, il en serait consterné.

— Je peux les emporter ? le pressa-t-elle.

Il hocha la tête. Irritée, la jeune femme les glissa dans sa pochette cartonnée et se hâta de quitter l'immeuble. Elle passerait sûrement des jours à retravailler avec l'architecte et le chantier prendrait des mois de retard, par sa faute. Elle n'arrivait pas à le croire. Dans son taxi, elle tenta de contacter Archi+, le cabinet avec lequel elle faisait affaire depuis toujours, en vain. Elle jeta d'exaspération son portable sur la banquette et reporta son regard sur la rue. Au feu rouge, elle aperçut la devanture illuminée du Petit Dupleix. Après tout, peut-être pouvait-elle s'accorder quelques minutes de pause auprès de ses amis ? Elle se convainquit qu'elle pouvait se l'autoriser après la journée éreintante qu'elle venait de passer.

Les rouages des coeurs brisésWhere stories live. Discover now