8. La mauvaise chambre (2/4)

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Dans la pénombre, elle distingua à peine les contours d'un grand lit et d'une armoire. En repoussant la porte, elle se heurta à ce qui semblait être un bureau couvert de papiers et de livres — quelques-uns tombèrent. La fraîcheur de la pièce contrastait avec la chaleur étouffante du salon où s'agglutinaient les invités. Ici, il n'y avait personne. Peut-être n'avait-elle même pas le droit d'être là. Peu importe. Elle avait besoin de respirer à pleins poumons, de maîtriser les battements incontrôlés de son cœur. 

Adossée à la porte, la jeune femme huma une grande bouffée d'oxygène. Étouffée par les murs, la musique se faisait plus sourde, moins agressive, moins dangereuse. Léna ferma les yeux et posa une main sur sa poitrine. Son cœur battait encore à tout rompre. Un. Deux. Trois. Expire. Un. Deux. Trois. Inspire. Un. Deux... Elle hésita une seconde à s'allonger sur le lit, ses jambes se dérobaient sous son corps tremblant. Son propriétaire n'aurait pas aimé, mais elle tituba jusqu'au matelas et s'y écrasa dans un soupir de soulagement. 

Le monde tournait autour d'elle. La panique la gagnait. C'était bien la première fois, depuis qu'elle était sortie de l'hôpital, qu'elle ressentait une telle douleur dans le thorax. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : son nouveau cœur ne durerait pas bien longtemps s'ils ne trouvaient pas un traitement plus efficace. Ses jours étaient de nouveau comptés.

— Qu'est-ce que tu fous là ? cracha un homme, qui venait de surgir dans la pièce.

La lumière s'alluma brusquement, forçant Léna à protéger son visage avec son bras. Elle se redressa et plissa les yeux pour distinguer l'auteur de cette pique. La silhouette élancée - féline même — qu'elle avait aperçue dans le salon chancela vers elle, une bouteille à la main.

— Qu'est-ce que tu fous dans ma chambre ? gronda-t-il, en arrivant à sa hauteur.

Léna se releva péniblement, honteuse. Elle allait s'excuser quand elle reconnut enfin le propriétaire des lieux. Les sourcils froncés, comme à son habitude, il la fusillait de ses yeux noisette, légèrement en amande. La colère endurcissait son visage par de petites ridules creusées sur son front. Il semblait essayer de se maîtriser, mais la rage s'emparait de ses poings compacts. Léna prit peur. Matthias l'avait toujours haïe, mais en viendrait-il aux mains ?

— Je répète, qu'est-ce que tu fais là ? peina-t-il à articuler.

Il appuya la pulpe de son index sur l'épaule de la petite blonde et la repoussa, l'air hagard. Elle tomba à la renverse sur le lit et grimaça de douleur lorsque son cœur bondit. Matthias, bouteille en main, but une nouvelle gorgée de whisky. Il vacilla. Les vapeurs de l'alcool l'empêchaient de penser. C'était mieux ainsi. Depuis des jours, il enchaînait les soirées, les sorties en boîtes et les rendez-vous dans des bars plus miteux les uns que les autres. Et quand la nausée le gagnait, il rejoignait sa chambre et s'y pelotonnait, les larmes aux yeux. Mais voilà que Léna contrecarrait ses plans. Elle n'avait rien à faire là.

— Putain, tu vas me répondre ? s'emporta-t-il. T'es pas muette, que je sache.

— J'avais juste besoin de m'isoler un peu, haleta-t-elle, la poitrine toujours étreinte de douleur.

— Qu'est-ce que tu fous chez moi ?

— Ben m'a invitée. Je ne savais pas que tu vivais ici, je ne serais pas venue sinon.

Léna retrouva un semblant d'énergie, guidée par son énervement. Ben lui avait expliqué que Matthias allait mal, qu'il surmontait une perte difficile, mais son manque de respect constant pesait sur ses frêles épaules. Elle n'en supporterait pas davantage.

— Qu'ai-je bien pu te faire pour que tu en arrives à te comporter de la sorte ? déplora-t-elle.

— C'est toi qui...

Matthias s'interrompit. À vrai dire, il n'avait aucune raison valable, si ce n'était sa peur maladive de l'abandon féminin. La repousser lui assurait qu'il ne souffrirait jamais d'une quelconque rupture, amicale ou amoureuse. Perturbé par cette vérité qui s'imposa à lui comme une révélation, il resta muet. Léna ne représentait qu'un danger. Et il manquait de courage.

— Tu devrais arrêter de boire, lui conseilla-t-elle, en le contournant.

Si seulement Matthias n'était pas arrivé, elle aurait pu retrouver un peu d'énergie et tenir quelques minutes de plus dans cette soirée, rester avec Ben jusqu'à ne plus en pouvoir. Mais il était arrivé et l'avait chassée. Le pincement douloureux qui lui étreignait le cœur ne la quittait plus depuis de longues minutes. Les basses battaient toujours dans ses tempes et entraînaient son pouls toujours plus vite. Si elle ne partait pas très vite, elle perdrait connaissance. C'était toujours de cette façon que se soldait une de ses crises.

Les rouages des coeurs brisésUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum