14. Besoin de prendre l'air (3/5)

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— Bonjour, tonna Sergueï derrière eux.

La jeune femme sursauta et repoussa brusquement Matthias. Ce dernier sentit ses joues s'empourprer. Il passa la main dans ses cheveux, gêné par le regard froid que lui adressait le Russe. Sergueï se planta devant eux, l'air sévère. Intimidé, Matthias bondit sur ses pieds quand l'homme d'affaire lui tendit la main et la serra fermement, comme pour lui faire comprendre qui il était. Ce jeune homme débraillé, bien qu'il ait fait un effort vestimentaire, devait se méfier.

— Matthieu, c'est ça ? poursuivit-il, écorchant volontairement son prénom.

— Matthias, le corrigea le doctorant.

— Où est ta mère ? demanda Sergueï, sans accorder plus d'attention au brun, comme s'il n'était plus là.

— Dans sa chambre. Elle a... elle a pris Matthias pour Jim.

Sergueï toisa le jeune homme d'un air contrit. Il n'aimait pas parler de cet Anglais qui avait trop fait souffrir sa femme. Alors apprendre que l'ami de sa fille avait ravivé les vieux souvenirs de Catherine le contraria plus encore.

— Pouvez-vous vous occuper d'elle ? bredouilla Léna. J'ai besoin de souffler un peu.

La jeune femme n'attendit pas de réponse. Elle attrapa la main de Matthias et sortit en trombes de l'appartement, si bien qu'elle en oublia son manteau et son sac à main. Elle marchait d'un pas vif. Le vent glacial et les quelques flocons qui couvraient la capitale de silence n'y changèrent rien. Matthias trottinait à sa suite, mais elle ne l'attendait pas. Elle avait besoin de mettre le plus de distance possible entre elle et son appartement. Il enroula sa main autour de son poignet pour l'arrêter. Il eut une impression de déjà-vu. Combien de fois avait-il dû la retenir pour lui parler, alors qu'elle fuyait ses problèmes à toute vitesse ?

— Où est-ce que tu vas comme ça ?

— Je ne sais pas. Loin de chez moi, haleta-t-elle, à cause de l'effort et des larmes versées. Je suis désolée que tu aies dû assister à cela... Tu n'aurais pas dû venir.

Les yeux plantés dans ceux de Léna, Matthias lui adressa une moue triste. Il aurait tant voulu l'aider, comme elle l'avait fait en passant une heure au téléphone avec lui au beau milieu de la nuit de Noël. Mais encore une fois, quand il s'agissait de Léna, il hésitait, il n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire.

— Je voudrais marcher un peu. Respirer.

— T'es pas couverte, tu vas attraper froid.

Léna haussa les épaules. Elle s'en moquait. Au contraire, elle aimait cette brise fraîche qui faisait virevolter ses cheveux et rougissait ses joues, elle éteignait le feu ardent qui la consumait depuis que ses parents étaient arrivés chez elle. Léna suffoquait dans son appartement. Un frisson la parcourut pourtant, alors elle se remit en marche. Matthias sourit et la couvrit de son manteau sur ses épaules frêles. La jeune femme disparut aussitôt dans le tissu molletonné, la capuche tomba sur son nez, seul le bout de ses doigts émergeait des manches trop longues. Et ils se remirent en route, en silence.

Arrivés devant l'immeuble où vivait Matthias, ils s'arrêtèrent, tous deux étonnés de s'y retrouver. Ils s'étaient laissés guidés par leurs pas sans vraiment regarder où ils marchaient, perdus dans leurs pensées. Au bout d'une heure de marche, Léna s'était à nouveau excusée pour le triste spectacle auquel Matt avait assisté, bien malgré lui. Il avait réussi à lui arracher un sourire en lui assurant qu'elle n'avait pas à s'en faire.

— Tu veux pas monter te mettre au chaud ? lui proposa-t-il.

— Je n'ai pas froid, répondit-elle, une moue espiègle aux lèvres.

Matthias leva les yeux au ciel et composa le code. Sans l'attendre, il entra dans l'immeuble et appuya sur le bouton de l'ascenseur. Un court instant, il crut qu'elle ne l'avait pas suivi et il regretta. Il allait renoncer et faire demi-tour pour la rejoindre, quand elle le bouscula pour s'engouffrer dans la cage. Les portes se refermèrent derrière eux. Ils attendirent plusieurs minutes, mais l'ascenseur ne monta pas. Ce ne fut qu'après un long silence gêné que Léna fit remarquer à Matthias qu'il n'avait pas appuyé sur le bouton.

— Merci d'être venu, murmura-t-elle.

— C'est normal, lui sourit-il.

Matthias rougit encore. Son cœur s'emballa. Durant toute leur balade, Léna avait éveillé une sensation grisante d'apaisement et d'excitation à chaque fois que leurs regards se croisaient, que leurs doigts s'effleuraient. Il secoua brusquement la tête, mais retomba aussitôt dans les yeux clairs de la jolie petite blonde. Ils lui firent oublier tout ce qu'il y avait autour d'eux. Même les portes qui s'ouvrirent.

— On est arrivé, souffla-t-elle.

Il continuait à fixer Léna, la lèvre pincée entre ses dents. Comment avait-il pu passer à côté de ça ? Elle avait quelques taches de rousseur sur le nez, presque invisibles. Il eut l'impression qu'il la voyait réellement pour la première fois. Ses iris bleus et gris étaient cerclée d'une ombre noire. Et ses lèvres pulpeuses formaient un arc prononcé en leur sommet, comme un cœur, leur commissure remontait légèrement. Elle semblait toujours sourire discrètement. Il vit ses joues rougir. Elle détourna le regard et le poussa doucement hors de l'ascenseur. Il secoua encore la tête. Que lui prenait-il ? Il devait se ressaisir.

Se ressaisir, mais pourquoi ? Il n'y parviendrait pas, il le savait déjà. Il avait ouvert la boite de Pandore en laissant Léna entrer dans sa vie. 

Les rouages des coeurs brisésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant