30. À LA FOLIE

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Il y a des jours où j'aurais préféré que Pablo ne m'aime pas. S'il n'était pas aussi obsédé par moi, peut-être qu'il m'aurait laissé partir il y a longtemps. S'il n'en avait rien à battre de ce qui m'arriverait si je partais, j'aurais au moins pu tenter de m'échapper.

Il y a d'autres jours où j'ai besoin de son affection, de la sensation de ses bras qui se serrent autour de moi. Parce que si Pablo m'aime, il fera de son mieux pour me protéger, pour me garder à l'abri d'Hernan, d'Oscar, de Gustavo et de tous ceux qui veulent me blesser ou me tuer.

Pablo et moi, on est comme deux métronomes qui battent à un demi-temps d'écart. Quand je le fuis, il me suit, et quand je le suis, il me fuit. Ce soir, j'ai besoin de sa chaleur, et tout ce qu'il me donne, c'est un côté froid de son lit.

J'essaie d'ignorer la croûte de sang sur son visage quand je me glisse sous les draps de soie et que je me recroqueville contre son torse. Tout ce que je veux, c'est qu'il me rassure, qu'il me montre qu'il ressent toujours quelque chose, et qu'il ne compte pas se débarrasser de moi tout de suite.

Sans un mot, il se retourne et roule de l'autre côté du lit, le plus loin possible de moi. J'essaie de me dire qu'il joue les timides, mais le doute persiste. Peut-être qu'il en a marre. Peut-être qu'il préfère la traque à la prise, et peut-être que je ne suis pas une si bonne prise, après tout.

On partage un grand lit, immobiles et allongés, plongés dans l'obscurité et le silence de la nuit. De temps en temps, une lueur bleue du clair de lune se reflète au coin de ses yeux ouverts, et je savais qu'il est réveillé, qu'il me regarde. C'est un drôle de contraste, un clair-obscur des plus violents. Une minute, il me déclare sa flamme, il m'ouvre son cœur, on dirait qu'il m'aime plus que tout au monde. Un instant plus tard, il se referme, il se recule, et c'est comme s'il n'était plus là.

Si j'étais de retour à Goose Creek, je me serais assise avec Ana sur un talus. On aurait cueilli des marguerites et arraché leurs pétales une à une, en répétant 'il m'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout', comme on faisait quand on était petites, et qu'on était contrariées par un garçon à l'école qui ne s'intéressait pas à nous.

Je savais que décapiter des fleurs ne changeait rien aux sentiments d'un garçon, mais Ana trouvait ça con, et ça la faisait rire. Elle riait fort, tellement fort, elle gloussait comme un dindon.

Ana me manque, ce soir encore plus que les autres. Son rire a toujours été le meilleur remède pour soigner mon cœur brisé.

Pablo ne dort pas, et moi non plus. Il me regarde tout au long de la nuit, et d'ici là que le soleil se lève, j'ai déchiqueté un millier de marguerites dans ma tête.

~

Il y a un bon côté au fait que Pablo ait foutu un coup de poing à Hernan. Les Sandoval ont pris leurs distances–et même si selon Pablo, ce n'est que temporaire–leur absence est comme une bouffée d'air frais.

La matinée est paisible. L'air est frais, le jardin brille de mille feux sous une fine couche de rosée, et les oiseaux gazouillent haut dans les arbres, secouant leurs fleurs chaque fois qu'ils s'envolent. La vapeur s'élève en volutes de nos tasses de café et des pâtisseries fraîches, soigneusement présentées sur des assiettes à la bordure dorée.

Ça aurait été un matin parfait, si ce n'est pour Pablo, qui est affalé sur une chaise, les mains toujours attachées dans son dos. Il porte encore le jean taché de sang dans lequel il a dormi, et j'ai jeté une de ses chemises autour de ses épaules pour ne pas qu'il chope froid en attendant qu'Oscar arrive avec la clé des menottes.

Et tout ce qu'il fait, c'est se plaindre sans cesse, parce qu'il souffre, parce qu'il a besoin d'aller aux toilettes, parce que son frère est un fils de pute, parce que je suis cruelle pour l'avoir laissé souffrir aussi longtemps, et parce qu'il est sur le point de se pisser dessus juste pour nous faire chier.

Drogues, Trahisons et Autres DémonsWhere stories live. Discover now