15. JUSTE POUR MOI

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Pablo va me tuer.

C'est la première et unique pensée qui me traverse l'esprit lorsque Mafer recule pour révéler ma nouvelle coiffure.

"T'en penses quoi ?" demande-t-elle en avalant les dernières gouttes de son troisième verre de la soirée.

"Oh, c'est..." J'ai du mal à faire semblant. "C'est joli."

La petite Mafer a un peu abusé du fer à boucler. Les cheveux sur le dessus de ma tête gonflent comme un soufflé, et les mèches qui pendent aux côtés de mon visage, sont agglutinés en boucles anglaises bien serrées.

Elle a un peu abusé du vin, aussi. Son visage radieux mais rouge pompette apparaît par-dessus mon épaule, brillant de fierté et de joie. Elle ne sait pas qu'elle avait ruiné mes chances de survivre ce soir.

Le maquillage est correct, au moins, même s'il y a trop de couleurs à mon goût. Les cheveux, par contre, sont horribles aux yeux de tous. J'ai l'air d'une Mini Miss des années quatre-vingt, d'un poney de concours, d'un caniche doré.

J'ai vraiment du mal à ne pas grimacer à la vue de mon atroce coupe mulet, mais ce qui est fait est fait. J'espère que Pablo a un sens de l'humour, ou alors je ne vais pas durer jusqu'au prochain lever du jour. Si ma vie dépend de ma capacité à séduire Pablo ce soir, alors autant mourir tout de suite.

Sarah, vous me direz, t'es pas un peu dramatique ? Non. Pas du tout. Vraiment, sans exagérer, c'est si moche que j'ai envie de crever.

Le ciel s'assombrit et pour une fois le temps file. Mes doigts crispés agrippent le bord de la coiffeuse, résistant à l'envie d'arracher des touffes de mes cheveux hideux, de déchirer ces vêtements sur mon dos qui ne m'appartiennent même pas, et de griffer les cernes et les joues creuses sur mon visage qui me donnent l'air de quelqu'un d'autre que moi.

"Tu es prête ?" demande Mafer.

"Non," je murmure.

Elle m'adresse un sourire désolé, et je me lève à contrecœur de la chaise. Elle ouvre la porte et s'écarte pour me laisser passer. La pauvre, je la fais attendre un peu.

C'est pas encore la douleur dans mes pieds, serrés dans mes chaussures, qui m'empêche de marcher. C'est la terreur paralysante de l'inconnu. Ça fait des semaines que je rêve de sortir par cette porte, et maintenant j'en avais peur. Ma petite cellule est devenue mon refuge, et maintenant que je me tiens sur son seuil, je me sens comme une tortue sans carapace.

Respire profondément, détends tes épaules, fais un pas devant l'autre. Mafer saisit instinctivement ma main et la serre doucement. Ma tête tourne, mon cœur tressaille, et je peux à peine contrôler ma propre force. J'écrase sa petite main si fort que j'entends ses doigts craquer.

"Aïe," chuchote-t-elle.

"Merde! Désolée," je lui souffle.

"C'est rien."

Je fais un pas en arrière pour la laisser fermer la porte, et mon dos heurte celui d'un garde. Il est grand, chauve, vetu d'un costume noir, et a le dos aussi large qu'un putain de grizzly. Il bouge à peine et ne réagit même pas.

Il ne me regarde pas, et reste tourné vers une grande fenêtre, ses yeux rivés au dehors. J'ai presque l'impression d'être invisible, si ce n'est pour le fusil qui repose sur son coude, dont le canon est dirigé droit sur moi.

Un frisson glacial me court dans le dos, et je reste figée un instant, jusqu'à ce que Mafer m'entraine dans le long couloir. Le bruit de mes talons cliquetant sur les planchers vernis résonne dans les hauts plafonds voûtés. Le couloir est large, haut et ridiculement long, et pourtant l'air y est étouffant.

Drogues, Trahisons et Autres DémonsWhere stories live. Discover now