29. DE LA POUDRE AUX YEUX

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"Tu voulais me parler ?" je murmure, toujours aggrippée à la poignée de la porte.

Un grognement sourd s'échappe du lit, expiré par un amas de chair qui était autrefois un homme. Je jette un dernier coup d'œil par-dessus mon épaule à l'air inquiet d'Oscar et aux sourcils froncés de Gustavo, et d'une main tremblante, je ferme la lourde porte derrière moi.

"Pablo ?"

D'un pas hésitant, et je m'approche du lit et de la masse qui se tord sous les draps de soie tachetés de sang.

"Pablo," je répète doucement. "C'est moi, Gordita."

Il se lève brusquement de sous les couvertures et m'accueille avec un grand sourire. Une épaisse croûte de sang séché s'étale sous son nez, s'incruste entre ses dents de devant, et strie sa poitrine nue là où elle a coulé.

"Tiens, mon soleil s'est levé," il chantonne.

"Pablo," je chuchote. "T'es couvert de sang."

"Ouais," il grommelle. "Mais c'est pas grave. C'est mon sang."

"C'est Hernan qui t'a fait ça ?"

"Hernan ?" il se moque. "T'es folle, Gordita. Il se bat comme le bonhomme Michelin, ce con. J'ai juste saigné du nez, c'est rien."

"Et tu t'es pas nettoyé ?"

Pablo soupire et se retourne pour me montrer la paire de menottes en fourrure rose fuschia qui lui retiennent les poignets.

"C'est compliqué de faire quoi que ce soit avec ces deux pépettes là qui me collent au cul," il ricane, tournant la tête pour me regarder. "C'est fashion, hein ?"

Je grince des dents. "Où est-ce qu'ils ont trouvé ça ?"

"Euh, on va garder cette conversation pour un autre jour," il marmonne. "Bref, t'as passé une bonne soirée ?"

Je le fixe en silence pendant un moment, la bouche entrouverte, figée au beau milieu d'un rire incrédule.

"Tu veux dire, entre le moment où t'as menacé de me tuer et le celui où t'as failli me mettre un coup de poing ?" je persifle. "Ouais, en fin de compte, c'était pas la pire soirée que j'ai passé. C'était même plutôt bien."

"Ah ouais ? Raconte moi les moments forts," il crache. "T'as bien aimé te faire peloter le cul par Hernan Sandoval ?"

Une autre mauvaise idée me traverse l'esprit l'espace d'un instant. Comme quand tu regardes un camion dévaler une rue à toute vitesse, et que tu te demandes ce qui se passerait si tu sautais devant.

Il veut jouer au plus con, et ce soir, je suis d'humeur à gagner. J'ai envie d'être sarcastique, de lui demander s'il est jaloux, de le pousser à bout, de le rendre fou.

Mais je sais pas si les menottes tiendraient le coup, ou si Pablo se souviendrait de mes mots pendant longtemps, s'il garderait sa rancœur jusqu'à ce que quelqu'un le détache, et donc cette pensée quitte ma tête aussi vite qu'elle y est entrée.

"Tu penses vraiment que c'est mon truc, de me faire tripoter par des vieux porcs ?" je siffle. "Vraiment, Pablo ?"

"C'est quoi qui te rends si heureuse, alors ? Passer ton temps loin de moi ?"

Évidemment que oui. Mais lui dire ça, ça pourrait tout aussi bien l'énerver, et étant donné son comportement tout au long de la journée, je ferais mieux d'y aller doucement avec Pablo.

"Non, c'est juste que– j'apprends à connaître tout le monde," je murmure, en haussant les épaules. "D'ailleurs, ils ont été super gentils avec moi."

Drogues, Trahisons et Autres DémonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant