18. SAUTES D'HUMEUR

82 4 0
                                    

Rien n'est pareil sous le soleil matinal. Rien, sauf l'énorme portrait de Pablo, qui a toujours l'air aussi ridicule que le jour précédent.

Dans le hall, le marbre scintille de mille éclats d'or sous la lumière du jour, qui coule à flots au travers du grand dôme de verre, en haut.

La plupart des gardes sont partis, il ne reste plus quelques hommes en chemises à manches courtes, qui ont échangé leurs fusils contre des pistolets bien rangés dans leurs étuis. Chacun me salue d'un signe de tête poli.

Tout ce spectacle, hier, c'était juste pour m'intimider, que des apparences, ce n'était que pour semblant. Avec le recul, je ne peux m'empêcher de penser, et quel spectacle c'était.

Même le couloir qui mène du hall à ma chambre semble plus court, plus accueillant. En partie, c'est parce qu'il n'est plus rempli de ces hommes effrayants, mis à part un grand chauve qui se tient près de ma porte.

L'autre raison, c'est que c'est beaucoup plus confortable de marcher, maintenant que mes pieds étaient libérés de ces instruments de torture qu'on appelle couramment "escarpins".

Et au final, le plus important, c'est que je ne marche plus vers l'inconnu, ni ne doute de mes chances de survie. Cette nouvelle confiance me donne un entrain surprenant, compte tenu de mon mal de tête lancinant.

J'entre dans ma petite chambre, et Mafer est là, près de la coiffeuse, serrant contre sa poitrine les draps de satin qu'elle a retirés du lit. Le bleu pâle de son uniforme fait ressortir les veines rouges vif qui strient le blanc de ses yeux.

Elle se retourne et me voit. Immédiatement, elle se jette dans mes bras et enfouit son petit visage dans mon ventre ballonné. En plein dans la nausée.

Je grimace un peu, mais je me mets vite à sourire. J'ai beau être un peu surprise par son étreinte soudaine, je suis encore loin de m'en inquiéter. Mafer est la personne la plus douce et aimable que j'aie jamais rencontré, et je me dis que sa réaction est juste un trop-plein d'émotions à l'idée de pouvoir jouer aux Morpions avec moi.

Je la serre, pas trop fort, en un câlin maladroit. Elle est spéciale, des fois, mais je l'aime bien comme elle est.

Puis je me rends compte que son corps entier tremble, grelotte et convulse, que des larmes chaudes roulent sur ses joues, en cascades fumantes.

"Mafer, qu'est-ce qu'il t'arrive ?" je lui demande en lui caressant les cheveux soyeux.

"J'ai vu qu'il n'y avait personne dans ton lit," sanglote-t-elle. "J'ai cru que... Je croyais qu'il t'était arrivé quelque chose."

Je la relâche doucement et mon regard se perd au loin. Sa réaction me rappelle à quel point Pablo reste un homme dangereux, malgré les bons moments qu'on a pu passer, et le fait qu'il semble bien m'aimer. Chaque minute passée en sa compagnie raccourcit mon espérance de vie de quelques années.

"Excuse-moi, je voulais pas t'inquiéter," je murmure. "J'ai dormi dans la chambre de Pablo."

"C'est pas grave, Seño," renifle-t-elle, un petit sourire sur ses lèvres pincées. "Je suis juste contente que tu sois là, et que tu vas bien. Le rendez-vous s'est bien passé, du coup ?"

"J'espère que t'as ramené ton cahier," je réponds. "Comme ça, je peux tout te raconter autour d'une partie de Morpions."

Ses yeux rougis se mettent à étinceler, et elle saute immédiatement sur sa chaise, à côté de la coiffeuse, prête à tout écouter.

Malgré la migraine qui me déchire les tempes et le goût nauséabond du vin qui persiste dans ma gorge, je lui dis tout ce qui s'est passé. Chaque détail dont je me souviens, chaque phrase que Pablo a prononcé. Tout, sauf l'opinion qu'il avait sur ma coiffure.

Drogues, Trahisons et Autres DémonsWo Geschichten leben. Entdecke jetzt