28. EL PUTAZO

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La nuit tombe, et je ne suis toujours pas morte.

L'après-midi a été long, sinistre et je me suis sentie terriblement seule. C'était un peu comme mes premiers jours ici, quand j'étais déchirée entre l'envie d'un peu de compagnie et la crainte de voir la porte s'ouvrir à nouveau, de devoir m'affronter à Pablo, sans savoir s'il comptait me tuer ou simplement me tourmenter.

La seule différence c'est que maintenant, la porte n'est plus verrouillée. J'ai vérifié si je pouvais encore l'ouvrir, et ça a marché. Le couloir à l'extérieur était calme et désert, mais j'ai pas osé sortir de ma chambre.

J'ai aussi un peu plus de choses pour me distraire. Des piles de vêtements à trier et à plier, des cigarettes à fumer par la fenêtre, et l'arrière de la boîte d'un DVD de Shrek que je peux lire et relire jusqu'à ce que je sente l'ombre de la folie planer au-dessus de ma tête.

Et puis, j'ai le collier d'Ana, toujours accroché autour de mon cou. Je fais tournoyer sa petite pierre rose entre mes doigts chaque fois que je pense à elle, c'est-à-dire toutes les deux minutes.

Le soleil se couche enfin, marquant la mort d'un jour épouvantable, et je reste debout. Pablo n'a pas l'air d'avoir changé d'avis, et il semble que je sois toujours attendue à la fête.

Je me maquille et enfile une belle robe rouge. Avec un peu de chance, je serai assez jolie pour que Pablo me pardonne, même si c'est pour une erreur que je n'ai jamais commise.

Ça vaut pas la peine qu'on s'engueule à nouveau pour savoir qui est en faute. Ça ferait qu'empirer les choses, et je préfère encore sauter par la fenêtre que de tenter ma chance à taper sur les nerfs de Pablo.

Si je veux survivre encore un soir, je ferais mieux de lui obéir, de faire comme si rien ne s'est jamais passé, et de passer ma nuit assise, les jambes croisées et la bouche fermée.

Dehors, sur la terrasse, Pablo est assis à une table, entouré d'Oscar, Gustavo, Hernan et Beto. Les cinq sirotent tranquillement leur rhum, fument des cigares ou des joints, et se tapent quelques lignes de poudre étalées sur la table.

"Bonsoir," je dis doucement.

Ils lèvent tous la tête, tous sauf Pablo, qui fixe le fond de son verre.

"Salut, Emilia," répondent les quatre autres, et les sourires gênés sur leurs visages me disent tout ce que j'ai besoin de savoir.

"Tu es très belle, ce soir," ajoute Gustavo.

Il regarde Pablo du coin de l'œil, comme s'il s'attendait à ce qu'il lève les yeux. Pablo semble penser que la table est tout aussi jolie, puisqu'il ne s'emmerde même pas à me jeter un regard.

Oscar se lève, m'attrape par le bras et me traîne doucement de l'autre côté du jardin.

"Ça va ?" demande-t-il, une fois qu'on est hors de portée de voix.

"Il est toujours en colère contre moi ?"

"Malheureusement, oui," soupire-t-il. "Vaut mieux que tu le laisses tranquille."

"Et Oso, il va bien ?"

"Oso va bien. Gustavo lui a donné un jour de congé, pour qu'il puisse rester à l'écart, juste au cas où. Mais en général, Pablo lui fait confiance, alors vraiment, Em, t'inquiète pas pour Oso."

Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule avant de passer le coin de la maison. Les autres hommes restent assis, presque immobiles, dans un silence sinistre.

"Je croyais qu'on devait faire comme si de rien n'était," je marmonne.

"Toi, fais ça," dit Oscar. "Si lui il veut pas se tenir à ses propres règles, c'est son problème. Laisse-lui taper sa petite crise tout seul. Il va s'en remettre."

Drogues, Trahisons et Autres DémonsWhere stories live. Discover now