24. BELLE À EN TOMBER

12 2 0
                                    

"Tu penses que ça te suffira ?" demande Pablo.

Il sort de son bureau avec quatre grosses liasses qu'il pose dans la paume de mes mains. Mes poignets plient légèrement sous le poids de quelques centaines de billets, et mon cœur tombe dans mon estomac.

"Ça fait combien ?" je respire, tandis que mes yeux vacillent entre Pablo et les piles d'argent qu'il a placées entre mes doigts comme si de rien n'était.

Son visage se contracte et ses sourcils se froncent pendant qu'il fait un petit calcul mental.

"Cinq mille dollars," dit-il en haussant les épaules. "Plus ou moins."

J'ai jamais vu autant d'argent, et encore moins touché une telle somme, dans tous les sens du terme. Je me souviens encore de la façon dont mon cœur battait la première fois que j'ai compté l'argent dans la caisse du restaurant où je travaillais, et ça ne représentait que huit cent cinquante dollars.

Je me rappelle aussi de la fois où j'avais dû prendre une pause d'une demi-heure pour pleurer dans les toilettes, quand un client m'a donné un pourboire de cent dollars. Jamais j'aurais pensé que quelques années plus tard, je tiendrais entre mes mains cinq mille dollars.

J'ai pas l'habitude des grandes virées shopping. J'ose à peine faire du lèche-vitrines. Je suis plutôt le genre de personne qui range soigneusement ses centimes, et qui vérifie si j'en ai fait tomber entre les coussins du canapé chaque fois que je pars au supermarché. Les nouilles instantanées ça ne me coûte que vingt centimes le paquet, et quand les fin de mois sont dures, rien qu'une pièce de monnaie oubliée sous un arrêt de bus suffit à me nourrir pendant une demi-journée.

"Je crois que ça devrait aller," je murmure.

Pablo sourit. "Super. Promets-moi juste que tu seras sage, alors."

"Tu viens pas avec moi ?"

"Non," répond-il. "J'aimerais bien, mais j'ai beaucoup de travail. C'est Oso qui va t'accompagner.

J'aurais dû être heureuse. Folle de joie, même. Je vais enfin sortir de cette putain de maison et m'éloigner de Pablo. C'est tout ce dont j'ai souhaité pendant ces dernières semaines, du moins c'est ce que je pensais, jusqu'à maintenant.

Parce que maintenant, je suis terrifiée. Pablo est tout ce que j'ai connu depuis ce qui semble être une éternité. Maintenant que j'ai été poussée hors du confort de ma chambre et laissée seule dans ce nouveau monde étrange, je ne reconnais personne autour de moi, et encore moins la personne que je suis censée être.

Et alors que je marche sur une planche au-dessus d'eaux troubles, ce qui m'effraie le plus, c'est qu'il n'a fallu que deux semaines pour que Pablo, le plus terribles des requins dans cet océan inexploré, se transforme en une bouée de sauvetage à laquelle je tente désespérément de m'accrocher.

~

Le silence dans la voiture est pesant. La radio est éteinte et le vrombissement du moteur est loin de sonner comme de la musique. Le visage inexpressif d'Oso est caché derrière une paire de lunettes d'aviateur à monture dorée, et je doute qu'il soit d'humeur à bavarder.

Dans ma tête, je hurle. Une douzaine de questions obscurcissent mon esprit, comme une volée d'oiseaux qui s'égosillent.

Est-ce que je serais en sécurité dehors, ou est-ce qu'un autre cartel m'attend juste au coin de la rue, prêt à me kidnapper à son tour et me décapiter ? Est-ce qu'Andrea est gentille ou est-ce que je vais passer la journée à l'écouter se foutre ouvertement de ma gueule ? Et si elle me pose trop de questions ? Est-ce que je pourrais lui dire de la fermer, comme je l'ai fait avec Juan ? Et si elle m'écoute pas, est-ce qu'Oso me défendrait ?

Drogues, Trahisons et Autres DémonsWhere stories live. Discover now