4. CHAOS ET RANÇONS

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Quand le matin se lève, que l'air se réchauffe et que le chant des oiseaux s'éveille, un homme entre dans la pièce.

Il souffle, grogne et soupire, avec la motivation d'un comptable en dépression qui monte dans une rame de métro blindée un lundi matin. Il traîne des pieds en traversant le sous-sol, raclant derrière lui une chaise en métal. Elle crisse contre le béton avec un bruit affreux, comme des ongles sur un tableau noir. Au moins, maintenant, je me sens réveillée.

Pour ce mec là, entrer dans une cave remplie d'otages semble être une simple routine, presque une corvée. Il se laisse tomber sur la chaise avec un bruit sourd, et se frappe les cuisses avant de se lancer:

"Bonjour mes p'tites dames !" dit-il d'une voix faussement enthousiaste. "Tout d'abord, je vous souhaite à toutes la bienvenue. Comme vous–"

"T'es qui, toi ?" crie Kait.

"Toi, tu fermes ta gueule," répond-il du tac au tac. "C'est moi qui fait le discours, d'accord ? Vous, vous écoutez, et moi, je parle. C'est simple. Allez pas compliquer les choses, OK ?"

Kait ne répond pas, et je suppose qu'elle a compris. L'homme laisse s'échapper un long soupir, le temps de laisser la tension retomber. Son ton s'adoucit aussi vite qu'il s'est aiguisé.

"J'en étais où ? Ah, oui–comme vous l'avez sûrement compris, vous êtes mes otages. J'imagine, bien sûr, que c'est votre première fois et que ça paraît terrifiant, mais ne vous inquiétez pas, si vous coopérez avec nous, vous serez sorties d'affaire en un rien de temps. Nos motivations sont purement économiques. Une fois que votre rançon est payée, vous serez libérées. Jusqu'ici tout va bien ?"

Je hoche la tête et murmure, "Je vous l'avais dit." Et même si personne ne m'entend, ça fait du bien de savoir que pour une fois, j'ai raison.

"Génial, maintenant, tout ce dont j'ai besoin c'est qu'on parle un petit peu de vous," dit l'homme. "Me racontez pas votre vie, parce que ça, tout le monde s'en fout. Il faut juste que j'en sache suffisamment sur vous pour contacter votre famille. On commence avec la rousse."

"Moi ?" bafouille June. "Je suis blond vénitien."

"Je m'en bats royalement les couilles," répond-il. "Comment tu t'appelles ?"

"June. June Corfield," dit-elle d'une voix tremblante.

J'entends un crayon gratter une feuille de papier. "Et tu viens d'où, ma chère June ?"

"Johns Island, en Caroline du Sud."

"Et qui va payer pour toi ?"

"Quoi, ma rançon ?" bégaie-t-elle, "Euh, mon papa, je crois."

Alors qu'elle lui donne le numéro de téléphone de son père, je me rends compte qu'il n'y a personne chez moi pour me sauver.

Je suis enfant unique, mon père est mort et ma mère, même vivante, ne vaut pas beaucoup mieux. J'ai plus de grands-parents, et mes tantes et mes oncles ne nous parlent plus depuis si longtemps que je ne me souviens plus de leurs noms.

J'ai même pas de petit ami, et même si je suis pas en mauvais termes avec mon ex, c'est peu probable qu'il débourse quoi que ce soit pour payer ma rançon. Et ma seule amie est à mes côtés, dans la même situation.

"Kaitlyn Johansson, vingt-trois ans," dit-elle quand vient son tour. "Je me rappelle plus du numéro de téléphone de mes parents, mais ma mère est dentiste à Charleston, vous avez qu'à appeler sa clinique demander à lui parler."

D'un coup, j'aimerais bien être Kait. J'envie le calme et l'assurance dans sa voix alors qu'elle épelle le nom de la clinique. Elle a l'air fière, presque effrontée, comme si elle vient de sortir une carte "libérée de prison" dans une partie de Monopoly enflammée. Avec la clinique dentaire de sa mère, deux trois sourires retapés et c'est comme si la rançon de Kait est déjà payée.

Drogues, Trahisons et Autres DémonsWhere stories live. Discover now