14. UN JOUR D'ORAGE

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"Tu penses encore à lui ?" demande Mafer.

"Non," je mens. "Pourquoi ?"

Elle fronce les sourcils et claque la langue. "J'ai lu son nom sur tes lèvres."

Le tonnerre gronde dehors. Je serre les dents et soupire. Ça fait une semaine depuis l'incident, et il n'y a pas une heure qui passe sans que je pense à lui. Les derniers mots qu'il m'a dits, ce torrent de colère, le ton haineux de sa voix résonnent toujours dans ma tête.

Je ne sais pas ce dont il est capable, ni ce qu'il prévoit de me faire. Mais ce n'est qu'une question de temps avant que je le découvre, parce qu'il peut pas me laisser ici pourrir pendant des années, quand même.

"Il est encore venu te voir hier soir ?" demande-t-elle en dessinant une petite croix sur une page de son carnet.

Je hoche la tête en silence. Bien que ça fait une semaine que Pablo ne m'a pas adressé la parole, il m'a quand même rendu visite. Plusieurs fois, même.

La première nuit, juste après ma tentative d'évasion ratée, je me suis réveillée en entendant la porte grincer. Pablo est entré, l'air ivre et débraillé, et s'est assis sur la chaise, de l'autre côté de ma chambre. Tout ce qu'il a fait, c'est me fixer. J'ai fait semblant de dormir, comme si je ne savais pas qu'il était là. J'ai même pas osé lui parler, de peur que mes mots ne soient pas ceux qu'ils voulait entendre.

Le lendemain matin, lorsque Mafer est arrivée avec un petit déjeuner sur un plateau d'argent, je ne lui ai pas raconté ce qui s'était passé. Ça aurait pu n'être qu'un cauchemar, après tout. À la place, je lui ai parlé de ma vie, et elle m'a tout dit sur la sienne.

J'ai appris que Mafer n'avait que dix-neuf ans, et qu'elle avait deux sœurs et trois frères. Elle travaillait comme femme de ménage parce que c'était ce qui paie le mieux par ici, mais son rêve c'est de devenir interprète. J'ai aussi appris que Mafer avait une obsession malsaine pour mes fossettes, qu'elle aime tapoter du bout du doigt chaque fois que je lui souris.

La deuxième nuit, je me suis réveillée au son de la pluie, et à la vue de la silhouette de Pablo, affalé sur la chaise devant ma coiffeuse, bien assoupi, avec les bras croisés et le menton rentré contre sa poitrine. Je me suis rendormie, en espérant que ce n'était qu'un autre mauvais rêve, et quand je me suis levée le lendemain matin, il était parti.

Plus tard dans la journée, j'ai enfin parlé à Mafer de ce que j'avais vu, et elle a dit qu'elle trouvait ça terrifiant. Alors on a passé toute la journée à se raconter des histoires de fantômes et d'horreur, alors que le ciel se couvrait lentement de nuages noirs.

La troisième nuit, je n'ai pas vu Pablo, mais lorsque je me suis réveillée le matin, la chaise avait bougé jusqu'au pied de mon lit.

La pluie a commencé à tomber tôt ce matin-là et n'a pas cessé depuis. L'air est devenu chaud, et insupportablement humide. Mafer m'a ramené un vieux ventilateur rouillé qu'elle gardait dans sa chambre en bas, pour m'aider à me rafraîchir. Elle a aussi apporté un petit carnet pour qu'on puisse jouer aux morpions ensemble, et un paquet de cigarettes que je pouvais fumer par la fenêtre quand l'orage se calmait un peu.

La nuit suivante, Pablo est revenu. Nos yeux se sont croisés à la lumière d'un éclair, mais la vue de son regard sombre m'a glacée jusqu'aux os, et je n'ai pas réussi à prononcer un seul mot. Ce jour-là, j'ai battu Mafer deux fois aux morpions, tandis qu'elle, elle a gagné une vingtaine de parties, et pour la première fois, j'ai eu la flemme de faire mes petits exercices quotidiens.

La cinquième nuit, quand Pablo est entré, j'ai murmuré son nom, espérant qu'il réponde. Mais quand il m'a entendue, il s'est retourné et est sorti de ma chambre. Mafer et moi avons partagé un sandwich pour le déjeuner, et pour le dîner, on a mangé des pâtes.

Drogues, Trahisons et Autres DémonsWhere stories live. Discover now