Le Dérobeur d'Ombres

II-5 Induction et Rémanence

Il glissait parmi les mortels, dragon diaphane qu'aucun d'entre eux ne pouvait percevoir. Repérant ses proies, il les débarrassait de leur part sombre, avant qu'il ne soit trop tard.

Les Ombres les plus fortes l'attiraient, comme des aimants. Il avait appris rapidement à distinguer les humains les plus touchés : ceux qui se faisaient consumer par les ténèbres, et ceux qui s'en repaissaient.

Il distingua une femme, au bord d'un pont. Elle était prête à sauter, malgré une personne qui la suppliait de revenir de l'autre côté de la rambarde et une autre en train d'appeler les secours. Sa part d'Ombres avait pris le dessus, envahissante ; sa Lumière luisait faiblement, réduite à une minuscule étincelle prête à s'éteindre.

Comme elle, pensa-t-il.

Il s'élança et attrapa au vol toute la noirceur qui rongeait l'âme de la pauvre femme. Tout à coup, elle parut prendre conscience de l'endroit où elle se trouvait. Elle fut envahie par la panique. Tout en se précipitant vers les mains tendues de l'individu qui l'incitait à remonter sur le pont, elle hurla :

- Aidez-moi !

Il l'avait empêchée de commettre l'irréparable. Et il continuerait ainsi sans relâche. Personne ne pourrait l'en dissuader. Il s'était juré qu'il empêcherait au maximum les mortels de céder à cette méthode de dernier recours. Une pensée tournait en boucle dans son esprit embrumé : l'espoir fait vivre, mais sans la vie il n'y a plus aucun espoir possible, c'est fini, le néant.

Je n'ai pas pu la sauver, elle, regretta-t-il en s'éloignant tristement.

Soudain, il fut pris par une rage incontrôlable. Il vola en tout sens, rugissant, et retourna tant bien que mal vers le point d'ancrage qu'il s'était choisi. Là où tout s'était terminé. Là où l'horreur avait commencé. La colère laissa place à l'amertume tandis qu'il observait le site magnifique. L'océan scintillait et oscillait en contrebas de la falaise verdoyante.

Il se perdait un peu plus dans les ténèbres à mesure que le temps avançait. Il avait blessé ses amis, peut-être même pire... Il avait aussi transgressé le Traité : il n'y avait plus de retour en arrière possible. Bientôt, il ne resterait réellement plus aucune trace de lui. Il ne resterait plus qu'Ignace. Du plus profond de son être, il espéra que quelqu'un l'arrêterait avant, parce que ses actions deviendraient alors bien plus aveugles et destructrices.