Chapitre 29

58 8 0
                                    

 De nature, Elior était loin d'être une personne douée dans l'art de la patience. Lorsqu'il voulait quelque chose, il le voulait tout de suite. Dès qu'il avait un objectif, il voulait l'atteindre rapidement, dans l'instant, immédiatement. Il haïssait peu de chose autant qu'être dans l'attente, inutile et impuissant.

C'était pourquoi, attendre hors de l'infirmerie, que Mina daigne, enfin, accepter sa présence à l'intérieur le rendait tout bonnement fou.

Il faisait les cent pas sur le pont, regardant anxieusement la porte de l'infirmerie s'ouvrir et se refermer par le ballet funeste des blessés de la bataille. Il comprenait qu'il ne serait pas utile à l'intérieur et qu'il risquait davantage de gêner le bon rétablissement de ses camarades qu'autre chose, mais il enrageait de laisser Orion hors de sa vue.

Dès qu'il fermait les yeux, il voyait de nouveau son corps inerte flotter dans l'eau sombre et cruelle. Il revoyait sa silhouette, immobile, s'envoler et tomber du navire. Il revoyait, avec horreur, son visage pâle, ses yeux clos et ses lèvres bleuies par le froid et le manque d'air.

Pour en rajouter à son angoisse, les pirates ennemis étaient toujours à leurs trousses. Le vent n'étant pas particulièrement en leur faveur, ils avaient dû virer de bord pour rester hors de portée de leurs canons. La manœuvre avait dû être difficile et périlleuse, car Elior n'avait pu s'empêcher de remarquer que certains éléments de la coque avaient été abîmés. Il craignait également qu'ils ne pourraient le réparer dans un port que lorsqu'ils seraient sûrs que plus personne ne les suivrait, qu'il s'agisse de leurs ennemis ou de la Marine qui rodait toujours. A défaut d'attendre, il aurait préféré pouvoir se changer les idées en pourfendant ces saletés de pirates qui avaient eu l'audace de les attaquer. Mais à part fuir, et laisser le reste de l'équipage manœuvrer, en priant pour que le Khromer soit assez rapide, Elior restait impuissant.

Lui qui adorait d'ordinaire rester oisif sur le navire, ne pouvait étonnement pas tenir en place.

 - Tu l'as sorti à temps, je suis sûr qu'il va bien, lui souffla Sayan qui avait été sorti de l'infirmerie par manque de place, son état ne nécessitant plus une prise en charge immédiate. Et même si Mina l'avait empressé d'aller se reposer dans son hamac, le timonier n'arrivait pas à quitter Elior.

Ce dernier grogna, sans même prendre le temps de lui répondre, et poursuivit ses cent pas. Il entendit Sayan soupirer, en terminant l'assiette qu'il avait sur les genoux.

 - Viens t'asseoir pour manger. Tu vas t'en vouloir si tu es épuisé quand il sortira, lui dit une nouvelle fois Sayan, sa voix se faisant plus dure cette fois.

- Lâche moi tu veux ? J'ai pas faim, rugit Elior.

Une main ferme vint se poser sur son épaule et le figea. Sayan s'était relevé et s'était approché de lui :

 - S'il te plait, Elior. On n'a pas besoin d'un autre camarade mal en point par manque de nourriture.

Même dans l'état dans lequel Sayan était, Elior savait qu'il ne ferait pas le poids contre son meilleur ami. C'était pourquoi, docilement, mais en rouspétant tout de même, il suivit Sayan et s'assit, face à la porte de l'infirmerie. Après tout, peut-être qu'il avait raison, et peut être qu'avaler quelque chose ferait passer le temps plus vite.

Mais sa gorge était tellement serrée qu'il ne parvint pas à avaler plus d'une bouchée, avant de reposer son assiette. Ceci dit, il sentait que la rage impatiente qui s'était emparée de lui depuis qu'il était retourné sur le pont se dissipait, laissant place à une inquiétude lancinante et paralysante. Un haut le cœur le prit et il dû fermer les yeux pour se calmer. Il prit de grandes inspirations, sa main venant se poser contre sa poitrine. Les battements incontrôlables de son cœur lui faisaient mal. Toutefois, cette douleur n'était rien comparée à sa peine à la simple pensée d'Orion.

Des Yeux aux Coeurs [MxM]Where stories live. Discover now