Des Yeux aux Coeurs [MxM]

Chapitre 4

  Les sirènes étaient, parmi les créatures mystiques des sept mers, l'espèce qui avait toujours le plus fasciné les marins. Ces êtres de l'eau aussi envoûtants que l'appel de la mer obsédaient les matelots depuis la nuit des temps. C'était une chance unique de pouvoir s'approcher de leur lieu d'habitat, et encore plus de pouvoir les voir. Mais ce qui était encore plus extraordinaire, voire impensable, c'était de parvenir à entendre leur chant. Grâce aux amulettes de la Capitaine, l'entièreté de l'équipage du Khromer aurait l'opportunité de vivre cette expérience, dont même les plus grands navigateurs n'osaient pas rêver. Tout cela, dans la mesure où le stratagème fonctionnait, bien sûr.

Malgré la confiance sans faille que tout le monde avait en Noor, certains membres avaient tout de même quelques doutes. Orion partageait leur inquiétude. Cependant, si ses camarades les plus sceptiques avaient préparé des bouchons d'oreille avec de la cire, Orion, lui, ne pouvait se le permettre. En effet, son rôle dans le plan de la capitaine recquierait l'usage de son ouïe. Il ne lui restait plus qu'à espérer que cette entreprise périlleuse se déroule sans ennuis.

Pour ne rien arranger au caractère anxiogène de cette situation, Orion devrait travailler, c'est-à-dire communiquer, avec Elior. Non pas qu'il n'avait pas confiance dans les capacités de son binôme ou qu'il ne voulait pas passer du temps en sa compagnie. Mais son incapacité à rester serein, à formuler des phrases intelligibles et de plus de trois mots face à lui risquait de poser un léger problème. Avec n'importe quel autre camarade, il n'aurait eu aucune difficulté. D'autant plus que la Capitaine avait, selon Alec, insisté pour que ce soit lui qui s'acquitte de cette mission. Il n'avait vraiment pas le droit à l'erreur.

Suite aux instructions d'Alec, il était retourné dans son hamac pour se reposer et se préparer mentalement. Il mentirait s'il disait qu'il avait réussi à fermer l'œil. Il avait passé son temps à réfléchir, cogiter et anticiper les différents scénarios de la nuit. Une fois le soir tombé, il était remonté sur le pont. Il avait peu mangé, son estomac était noué. Un calme inhabituel régnait sur le vaisseau. La majorité des matelots étaient descendus se coucher. Orion voulut profiter de ce moment de quiétude pour mettre toutes les chances de leur côté. Il s'approcha de la proue et sortit de sa veste une feuille de papier, une plume avec de l'encre et une bougie.

Il s'assit en tailleur sur le sol et commença à écrire. Il avait l'habitude, avant chaque moment important pour l'équipage, d'adresser une prière à la déesse des étoiles Sohaïl. C'était son père qui lui avait appris comment prier lorsqu'il n'était encore qu'un enfant. Dans le Royaume d'où il venait, à Umi, l'année était rythmée par les cérémonies en l'honneur des Dieux. Dans son petit village portuaire, il y avait un festival chaque été dédié à la déesse des étoiles. Il s'y rendait toujours avec son père et sa mère. Et c'était des souvenirs qu'il chérissait particulièrement.

Une fois son intention rédigée sur le papier, il le plia en forme de bateau. Il alluma sa vieille bougie, se mit à genoux la tenant entre ses mains et ferma les yeux quelques instants. Il remercia la déesse de les avoir protégés jusqu'ici, et la supplia de continuer encore cette nuit. Enfin, il se releva et enflamma la pointe du bateau de papier avec la bougie avant de l'offrir délicatement aux vagues. Il observa sa prière glisser sur l'eau avant qu'elle soit engloutie par les flots. Il soupira et leva les yeux vers les étoiles. Il avait fait tout ce qui était dans son pouvoir pour multiplier leurs chances.

Le silence fut brisé par le claquement familier de bottes sur le bois du navire. Chaque marin de cet équipage connaissait, et redoutait ce son. Des gouttes de sueur froide coulèrent le long du dos d'Orion. Il se retourna et vit la Capitaine Noor se tenir devant lui, les bras croisés sur sa poitrine, et le regard dur. Orion se redressa, se força à respirer, et la salua d'un haussement de tête :