LE JOUR OÙ LES ÉTOILES ONT CESSÉ DE BRILLER

CHAPITRE 41 - Saïd

SAÏD

Mercredi 4 octobre 2017
Los Angeles, États-Unis

Incapable de me faire à l'idée que tout est peut-être terminé entre nous, je retourne m'asseoir à notre table, dépité. Je ne peux pas quitter la soirée tant que le reste du groupe est encore là. Que penseraient les gens ? Et si je m'en foutais pas mal de ce que pensent les gens après tout ?

Mais le temps passe et je ne peux me résigner à m'éloigner de Loup, malgré tout.

Le dîner est désormais fini et la piste de danse commence à se remplir. Tout le monde semble prendre du bon temps. Même Alban a réussi à convaincre Sofia de venir danser avec lui. Ils se déhanchent sur la musique électro que le DJ joue depuis quelques minutes.

Soudain, le rythme ralentit et après une transition plutôt approximative, je reconnais la chanson qui commence à jouer : First Time.

Toutes les personnes présentent sur la piste de danse la reconnaissent à leur tour et se mettent à crier « Nameless » pour nous inviter à venir danser avec eux. Une personne que je ne reconnais pas vient me chercher jusqu'à notre table pour m'amener sur la piste.

Bien que je n'en ai pas du tout envie, je me joins à Alban et Sofia pour danser et chanter sur cette chanson que j'ai moi-même écrite des années plus tôt, pour dire à Loup tout ce que j'étais incapable d'exprimer à voix haute.

Lorsque le premier refrain arrive, la musique se fait plus douce et la foule commence à s'écarter. En son milieu, Loup et Lucie prennent place pour entamer un slow. Je m'arrête aussitôt de danser, bien que je ne bougeais déjà pas beaucoup. Sous mes yeux, l'homme que j'aime offre la plus belle des danses à cette personne qui ne représente rien pour lui. Tandis que je me vois contraint de regarder cette scène sans tout envoyer valser. Autour de moi, les gens encouragent le couple dans leur danse et même mes amis se voient contraints de donner de la voix. Je suis le seul qui ne réagit pas. Alors, au lieu de faire semblant une fois de plus, je quitte la piste. Je m'éloigne d'un pas rapide et traverse la salle vide et cette traversée me semble durer une éternité.

De retour à l'hôtel, tandis que tous mes amis sont restés sur le lieu de la réception, je me traîne jusqu'à ma chambre. Je m'écroule sur le lit et autorise enfin mes larmes à couler, pour la première fois depuis un long moment. J'ai toujours gardé l'espoir qu'un jour les choses finiraient par s'arranger, mais ce soir tous mes espoirs sont réduits à néant. Pourquoi tout est si douloureux ? Peut-être parce que l'idée de ne pas pouvoir passer chaque seconde du reste de ma vie avec Loup me terrifie. Je n'ai toujours connu que ça, du plus loin que je me souvienne, comme si ma vie avait commencé le jour de notre rentrée au lycée, lorsque nos regards s'étaient croisés pour la première fois.

Allongé sur mon lit, j'imagine tout ce que j'aurai pu dire tout à l'heure, dans ce couloir. Tout ce que je n'ai pas dit parce que j'en étais tout simplement incapable. Ou bien peut-être n'ai-je juste pas trouvé de mots assez forts pour le convaincre. Peut-être que si je trouvais les bons mots, je parviendrais à lui faire entendre raison. Je ne peux pas me résigner à le laisser se faire détruire par son père. Il doit y avoir une solution.

Les heures passent et à force de m'être retourné la cervelle, je pense avoir trouvé les bons mots. J'en suis persuadé à présent, Loup finira par accepter de tout arrêter pour partir avec moi. Il faut juste que je lui garantisse que je le protégerais de son père.

Les heures passent et j'attends toujours que Loup rentre de la soirée et qu'il me rejoigne dans cette chambre, comme il le fait d'ordinaire. Mais les heures passent et la porte reste fermée.

Il faut que je prenne mon courage à deux mains. Si Loup ne vient pas à moi, c'est à moi d'aller vers lui. Je me rends dans le couloir, en short de pyjama et les pieds nus. Je m'avance vers la porte de la chambre de Loup. Se pourrait-il qu'il soit directement rentré dans sa chambre ? J'hésite un instant, avant de frapper trois coups contre la porte.

Pas de réponse.

Au moment où je m'apprête à frapper une seconde fois, le cliquetis de la serrure résonne dans le couloir et je retiens mon souffle. Loup apparaît dans l'embrasure, les yeux à moitié clos. Il dormait.

— Saïd ? marmonne-t-il.

— Pourquoi tu dors ici ? je demande, surpris.

— Je ne peux plus faire ça Saïd. Je suis désolé.

— Loup, écoute-moi, je me lance. Je sais à quel point ton père te fait peur et...

— Arrête, me coupe-t-il.

Pris au dépourvu, je perds mes mots. Je reste figé, à le fixer bêtement.

— Il faut que tu retournes dans ta chambre Saïd, me lance-t-il d'une voix fatiguée.

— Mais je veux dormir avec toi.

— Je ne viendrai pas Saïd. Pas ce soir ni demain ni après-demain. Je ne viendrais plus.

— Qu'est-ce que tu es en train de me dire ?

— Je ne peux pas continuer à te faire subir ça. Je pense que ce serait mieux qu'on arrête tout ça. Pour toi comme pour moi.

— Non, non pas du tout. Au contraire, il faut qu'on continue. Il faut qu'on s'accroche. On peut y arriver.

— Je suis fatigué de tout ça Saïd. Tu seras bien mieux sans moi. Tu pourras enfin vivre ta vie comme bon te semble, sans que je te ralentisse. Tu le mérites.

— Loup, arrête de dire n'importe quoi. Je veux être avec toi, moi.

— Je sais, mais je dois te protéger.

— Non Loup, tu te trompes. Ne fais pas ça.

— Je suis désolé Saïd. Si tu savais comme je suis désolé.

— C'est qui ? demande une petite voix dans son dos.

Loup laisse son regard se perdre dans le mien pendant une demi-seconde, avant de répondre à Lucie :

— Personne, rendors-toi.

Sur ces mots, il referme la porte de sa chambre et je me retrouve seul, pieds nus, dans le couloir vide de cet hôtel.

Le cœur brisé et dans l'incompréhension la plus totale, je ne parviens pas à rejoindre ma chambre, alors qu'elle se tient à seulement quelques mètres de moi. Ma vision devient floue et je me laisse glisser au sol, le dos contre le mur, cherchant désespérément quelque chose à quoi me raccrocher.

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