CHAPITRE 23 - Loup

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LOUP

Quatre ans plus tôt

Jeudi 19 décembre 2013
Paris, France


   La salle de spectacle du lycée se vide peu à peu après le concert de Noël et tous les internes regagnent leurs chambres pour notre dernière nuit avant le départ en vacances le lendemain matin. Dans les escaliers, l'euphorie est toujours présente et je ne peux m'empêcher de raconter encore et encore ce concert. Alban accélère le pas, fatigué de m'entendre radoter, mais je ne peux faire que ça. Sofia m'écoute poliment et seul Saïd ne semble pas dérangé par mes mimiques lorsque j'imite pour la énième fois mon solo de basse.

   Notre tout premier concert... j'arrive toujours pas à y croire.

   On raccompagne Sofia devant la porte du dortoir des filles et on se souhaite de bonnes vacances, échangeons nos derniers sourires de l'année. Le sien est légèrement triste, comme à chaque fois qu'on se sépare pour les vacances.

   Alban s'empresse de rejoindre sa chambre en nous saluant rapidement, pressé de ne plus m'entendre parler. Je ris en le saluant et il me renvoie un sourire blasé. Je sais qu'il m'aime dans le fond, il ne veut juste pas l'admettre. On se retrouve Saïd et moi devant notre chambre — la numéro six — qu'on partage depuis l'année dernière.

   On va faire quoi de nos soirées maintenant que notre chanson est terminée et que le concert est passé ?

   Il pousse la porte pour me laisser entrer avant de se précipiter dans la salle de bain. Je grogne, même si je sais qu'il va toujours prendre sa douche avant moi.

   — J'arrive toujours pas à y croire ! je lance.

   — Moi non plus, me répond Saïd à travers la porte entre-ouverte. C'était dingue. J'ai envie de le refaire, encore et encore.

   — Nameless, je murmure pour moi-même, fasciné par ce nom sorti de nulle part.

   — Tu imagines, c'est nous qui avons écrit cette chanson, lance Saïd depuis la salle de bain. Et les gens dansaient !

   — Je sais, c'est fou, je réponds en secouant la tête.

   L'eau coule pendant un moment de l'autre côté du mur et j'attends patiemment. Lorsqu'il quitte la salle de bain, avec une simple serviette autour des hanches, le torse encore humide, son sourire est immense. Il me fixe depuis l'embrasure de la porte sans rien dire.

   — Quoi ? je demande, intrigué.

   — J'ai envie d'en écrire d'autres, lâche-t-il. Pleins d'autres. Avec toi.

   C'est tout ce dont j'ai envie moi aussi, mais je ne pensais pas qu'il le dirait. Toutes ces nuits, assis côte à côte dans son lit à griffonner des vers, éclairés par sa petite lampe de chevet dans le silence pour ne pas réveiller le surveillant. C'est tout ce dont j'ai envie.

   — On va devenir des super stars Saïd ! je lance en bondissant de mon lit pour me rapprocher de lui.

   — Tu crois qu'on peut le faire ? me demande-t-il, pensant que je suis sérieux.

   Je le suis peut-être après tout.

   — Tu as un talent incroyable, ce serait bête de le gâcher.

   — En tout cas, tu as bien fait d'arrêter le violon pour te mettre à la basse, souffle Saïd en réduisant l'écart qui nous sépare.

   Il se tient face à moi, bien droit, ses bras détendus le long de son corps et son sourire toujours aussi grand. Ses joues sont légèrement rosées, sans doute à cause de la chaleur qui émane de la salle de bain. Il me regarde droit dans les yeux et je ne peux qu'être d'accord avec lui : j'ai bien fait d'arrêter le violon.

   Malgré nos pieds presque à se toucher, la distance entre nous semble diminuer toujours un peu plus. Je parviens même à entendre la respiration de Saïd et à voir ses épaules se lever et s'abaisser lentement. Une main se pose contre ma joue et je crois d'abord que c'est la mienne, avant de réaliser que je n'ai pas bougé. Je détourne mon regard pour observer la main de Saïd contre ma peau, avant de redescendre mes yeux dans les siens. Notre différence de taille est encore plus marquante maintenant que nos torses se touchent presque et je ne comprends pas ce qu'il se passe.

   Je suis incapable de bouger, alors que la situation me paraît si étrange que j'aimerai en sortir. Juste prendre du recul, pour pouvoir réfléchir à toutes ces sensations qui m'assaillent. Ma joue brûle sous sa main, mon cœur frappe fort contre ma poitrine et mes mains sont prises de fourmillements, tout comme mon ventre. Je fronce les sourcils, cherchant désespérément à comprendre ce qu'il m'arrive, lorsque le visage de Saïd se rapproche du mien.

   Il vient de se hisser sur la pointe de ses pieds pour que nos yeux soient à la même hauteur et je cherche ma respiration, mais mes poumons ne veulent pas se remplir. J'ai chaud, je suffoque, je veux m'écarter, mais mon corps ne répond plus.

   Ses lèvres se collent aux miennes et ses yeux se ferment sous les miens. Tétanisé, je continue de froncer les sourcils à mesure que toutes les sensations dans mon corps s'amplifient une à une. Ma joue est en feu, mes lèvres aussi maintenant et le fourmillement s'est répandu dans tout mon corps qui ne répond toujours pas. Seul changement que je parviens à noter : je n'ai plus envie de m'écarter.

   Les lèvres de Saïd sont douces et légèrement humidifiées par les gouttes d'eau qui perlent depuis ses cheveux bouclés. Je presse les miennes contre elles pour en apprécier un peu plus leur douceur. L'odeur de vanille de son gel douche emplit mes narines et je réalise que mes poumons fonctionnent de nouveau. Mon corps fonctionne de nouveau. Mon cerveau plus tellement. Lui aussi est pris de fourmillements.

   Mes yeux sont toujours ouverts quand il ouvre de nouveau les siens et je les observe attentivement. Comme si je les voyais pour la toute première fois.

   — Loup ? m'interroge Saïd.

   Je continue de le regarder, subjugué par ses deux iris ambrés.

   — Un jour, j'écrirai des chansons qui parleront de toi.

   Je me mets à rire avant de le repousser gentiment et de m'éloigner dans la salle de bain. Mon corps retrouve enfin ses fonctions.

   — Je suis sérieux, ajoute-t-il.

   Je lui souris en levant les yeux au ciel et après ma douche il est déjà allongé sur son lit, sa serviette toujours autour de sa taille. Je m'avance vers lui sans hésiter et m'installe à côté, comme j'ai souvent l'habitude de le faire. À la seule différence que ce soir, on s'endort peau contre peau. La chaleur et la douceur de la sienne apaisent peu à peu les battements de mon cœur quand je prends conscience que nos lèvres se sont touchées et que, étrangement, ça m'a fait quelque chose.

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LE JOUR OÙ LES ÉTOILES ONT CESSÉ DE BRILLERWhere stories live. Discover now