CHAPITRE 24 - Loup

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LOUP

Lundi 23 décembre 2013
Paris, France


— Allez, à table ! hurle mamie Andrée depuis le bas des escaliers.

— On arrive, lance Salomé, désignée porte-parole des cousins Tarsin pour cette année.

Comme tous les ans, la famille se retrouve chez papy et mamie pour Noël et avec les cousins — au nombre de onze — on élit un porte-parole qui répondra pour nous aux adultes afin d'éviter le brouhaha. Tout le monde quitte les chambres pour rejoindre le grand escalier en bois. Une des cousines attrape une des plus petites avant qu'elle ne se précipite dans les escaliers.

— Suzie, il faut que tu laves tes mains avant d'aller manger, tu as plein de crayon sur les doigts.

— Je suis pas obligée de faire ce que tu me dis, lui rétorque-t-elle.

— Comme tu veux, mais si j'étais toi, j'irais quand même me laver les mains. J'aimerais pas que papy Raymond me coupe les mains parce que j'ai sali la nappe du salon avec mes doigts plein de crayons.

La petite Suzie se met à courir vers la salle de bain au bout du couloir, le regard livide. J'observe ensuite Anna, la plus grande, descendre tranquillement les escaliers, ravie d'avoir pu effrayer sa petite cousine une fois de plus. J'ai jamais compris pourquoi Salomé aime tant passer du temps avec elle, mais bon, tant qu'elles me laissent tranquille je m'en fiche un peu.

Une fois en bas, chacun s'assoit à sa place attitrée à la table des enfants. Celle des adultes affiche complet avec les grands-parents, les oncles, les tantes et tous les conjoints. Le problème de cette table, c'est qu'elle n'a jamais augmenté son nombre de places. Si bien que certains cousins — comme Julien qui a vingt-cinq ans passés — n'ont jamais pu quitter la table des enfants.

Cette année c'est encore différent, car Sandra la plus jeune des filles de papy Raymond et mamie Andrée s'est trouvée un copain. Pour le plus grand bonheur de l'oncle Gauthier — le plus jeune de la fratrie, à peine plus âgé que Julien — qui se voit relégué à la table des enfants. Il ne s'est même pas plain et je crois qu'il s'y plaît finalement. Au moins, à notre table il peut éviter les discussions qui dégénèrent sur des sujets tels que la politique ou l'éducation des enfants.

Moi non plus ça ne me dérange pas qu'il soit là. Ça m'évite les discussions à base de blagues de Toto et les postillons de purée de petit pois. On se ressemble beaucoup tous les trois : obligés de passer Noël dans cette famille qu'on déteste, et ce, chaque année. Car oui, l'inconvénient de faire partie de la famille Tarsin c'est que mamie Andrée oblige chacun de ses enfants à venir passer les fêtes chez elle et attention à ceux qui dérogeraient à la règle. Les compagnons de certains oncles et tantes en ont déjà fait les frais. Seule maman semble accepter cette règle sans ne jamais se plaindre. Il faut dire qu'elle ne refuse jamais rien à mon père et c'est sans doute pour ça qu'il l'a choisie. De toute façon, elle n'a plus personne de son côté, si ce n'est sa vieille tante qu'elle ne supporte pas et que je n'ai jamais rencontrée.

Le cousin Julien et l'oncle Gauthier semblent être les seuls à ne pas avoir attrapé la « fièvre Tarsin », comme le dit souvent Gauthier.

Je suis assis en face de lui et je l'observe dévorer son poulet à mains nues, les doigts recouverts de gras. Il dénote tellement avec le reste de ses frères et sœurs, bien plus âgés que lui. Chaque année, je me dis que j'aurai adoré que mon père soit un peu plus comme Gauthier et un peu moins comme papy Raymond, mais à la longue, j'ai fini par me faire une raison.

— Quoi ? me lance Gauthier, la bouche pleine.

— Rien du tout.

Je reporte mon attention sur mon assiette de petits pois. Gauthier est gentil, mais quand il s'agit de la nourriture, mieux vaut ne pas le fixer trop longtemps. Julien me propose de reprendre du poulet que je refuse poliment, le ventre déjà plein.

LE JOUR OÙ LES ÉTOILES ONT CESSÉ DE BRILLEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant