CHAPITRE 40 - Loup

17 5 3
                                    

LOUP

Mercredi 4 octobre 2017
Los Angeles, États-Unis


Il n'est plus assis à sa place, mais où est-il passé ?

Soudain, quelque chose effleure le dos de ma main. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir de quoi il s'agit. Ou plutôt de qui il s'agit. Un coup d'œil furtif par-dessus mon épaule me suffit pour voir Saïd s'éloigner vers le fond de la salle.

— Sorry, I have to go to the toilets, je balbutie en me dégageant du bras de Lucie.

Je marche lentement, veillant à garder plusieurs mètres entre Saïd et moi. Nous quittons la salle principale pour nous éloigner dans les couloirs. Je croise quelques personnes que je salue poliment, mais plus je m'éloigne de la salle et plus les autres se font rares.

Je continue de marcher dans ses pas et soudain, au détour d'un couloir, une main ferme agrippe la veste de mon costume. En un instant, je me retrouve plaqué contre le mur avec le visage de Saïd à quelques centimètres du mien. Ses yeux marrons me fixent intensément. Voilà plusieurs semaines qu'on ne s'est pas retrouvés aussi proches.

Soudain, les lèvres de Saïd viennent se coller contre les miennes et je repousse aussitôt son corps entièrement plaqué contre le mien.

— T'es complètement fou ! je m'emporte en essuyant mes lèvres d'un revers de manche tout en jetant un œil à travers le couloir, de peur que quelqu'un nous ait surpris.

— Je sais, mais j'en pouvais plus, lâche Saïd à bout de souffle. Te voir avec elle me rend dingue.

— C'est juste pour la soirée Saïd. Tu peux pas faire ça, je poursuis en le repoussant un peu plus. C'est trop dangereux.

— Mais je suis plus capable d'attendre Loup. Je m'en fous que ce soit dangereux. Je veux juste être avec toi.

— On a pas le choix, je soupire.

— Si Loup, on a le choix, c'est juste que tu veux pas prendre cette décision. Laisse-moi la prendre pour toi.

— De quoi tu parles ?

— Partons d'ici, lance-t-il en agrippant mes bras. Maintenant.

— Lâche-moi, j'insiste en le repoussant encore.

Mais Saïd reste fermement accroché à ma veste, le regard dément.

— Si on part, que peut-il nous arriver ? Ton père ne prendra pas le risque de perdre deux membres de son groupe. Il nous laissera revenir avec nos règles.

— Ne me dit pas ce que mon père fera ou ne fera pas ! je crache. Tu ne sais pas de quoi tu parles.

Je le repousse encore plus fort et il est contraint de me lâcher, surpris de me voir aussi énervé. Ça ne m'était encore jamais arrivé.

— Pourquoi tu ne veux pas comprendre qu'à l'instant même où le monde entier sera au courant pour toi et moi, ce sera la fin de nos vies ? Littéralement. Il ne te laissera pas la moindre chance dans la musique. Partout où tu iras, quoi que tu fasses, il cherchera à te détruire et crois-moi, il y parviendra.

— Alors partons pour de bon, juste toi et moi. On oublie le groupe, on oublie la musique et tout ça. Juste toi et moi.

— Tu sais très bien que c'est impossible, je ris.

— Pourquoi ?

— Tu ne pourras pas vivre sans tout ça, sans la musique, sans la scène. Je ne peux pas te priver de tout ça.

— Mais je m'en fous de tout ça bordel ! s'emporte-t-il à son tour. Ce que je veux c'est toi ! Je m'en fous de tout le reste. Pourquoi tu veux toujours trouver des excuses ? Pourquoi t'es pas capable d'assumer qui tu es ? Arrête d'être lâche bordel !

Je baisse les yeux face à lui. Cet homme que j'aime du plus profond de mon cœur, mais qui ne parvient pas à comprendre la situation dans laquelle je me trouve. Toute cette histoire nous dépasse complètement et il s'agit de bien plus qu'une question de lâcheté.

Aller contre mon père reviendrait à mettre la vie de Saïd en danger et ça, je ne le permettrais jamais. Même si pour ça, je dois le perdre. Mais en plus de ça, partir avec lui et tout quitter mettrait ma famille en péril. Ma mère et ma sœur dépendent entièrement de mon père. Rester seules avec cet homme qui serait prêt à tout pour nous retrouver, quitte à les mettre toutes les deux en péril, n'est pas envisageable.

Saïd pourrait s'en sortir seul, dans le vrai monde, hors de cette bulle dans laquelle on vit depuis des années. Il dispose de son argent, il est talentueux et il sait y faire avec les autres.

Son seul défaut, c'est qu'il est trop utopiste et dans l'incapacité de voir la réalité des choses, la dureté des choses. Ce n'est pas un manque de volonté de sa part mais simplement son plus gros trait de caractère. Il essaye toujours de voir le côté positif des choses, même dans les pires situations. Il est incapable d'imaginer que des horreurs puissent se produire autour de lui et pourtant, en ce moment, il n'y a que ça. Ce trait de caractère est une bénédiction qui a permis à notre groupe de rester soudé, même dans les moments les plus compliqués.

Mais aujourd'hui, cette bénédiction creuse un écart entre nous deux. Un écart que toutes les explications du monde ne pourraient pas réussir à combler. J'en suis conscient, je l'ai toujours su et je me doutais qu'un jour cet écart finirait par nous perdre. Ce jour semble être arrivé et y assister est sans doute la chose la plus douloureuse à laquelle j'ai dû faire face.

Saïd s'en sortirait sans moi, sans nous, sans Nameless. Pour moi c'est différent. Je ne suis pas capable de parler avec les autres, je n'ai pas assez de talent pour évoluer seul dans la musique et surtout, rien ne m'appartient. Mon père dispose de tout mon argent. Quitter le groupe reviendrait à me retrouver à la rue, sans rien ni personne.

Tellement d'enjeux m'empêchent d'être celui que j'aimerai être. Des enjeux qui dépassent complètement Saïd et c'est pour ça que c'est tant difficile pour lui de se mettre à ma place. Malgré tous les mots durs qu'il me balance et son regard déçut, je ne peux lui en vouloir.

— Je t'en supplie Loup, viens avec moi, me supplie-t-il encore une fois en tendant une main vers la mienne.

Je secoue la tête, désemparé.

— Je dois y retourner, je dis avant de m'éloigner dans le couloir.

*****

N'hésites pas à laisser une petite étoile pour me signifier que tu as lu ce chapitre et un commentaire pour me dire si ça t'as plu ☺️

LE JOUR OÙ LES ÉTOILES ONT CESSÉ DE BRILLERWhere stories live. Discover now