CHAPITRE 16 - Saïd

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SAÏD

Mardi 27 juin 2017
Dallas, États-Unis


   C'est la panique. Drew vient de nous annoncer qu'on monte sur scène dans cinq minutes et je n'ai rien de mieux à faire que de déambuler dans les coulisses à la rechercher de Loup. Je l'ai cherché partout, impossible de le trouver. Ma guitare dans le dos, je repasse pour la troisième fois dans ce couloir, commençant à perdre patience.

   Soudain, une main ferme empoigne mon avant-bras et m'attire dans une pièce, plongée dans la pénombre.

   — Qu'est-ce que tu fais là-dedans, je demande en reconnaissant Loup.

   — Je t'attendais.

   — Parce que j'étais censé savoir que tu serais caché ici ?

   — Je savais que tu viendrais me chercher, rit-il.

   — Peu importe, je dis en secouant la tête. On a pas beaucoup de temps.

   La porte se referme lentement derrière nous et au moment où elle émet un petit « clic » nous indiquant qu'elle est définitivement fermée, j'empoigne les hanches de Loup et l'attire contre moi. Ses mains dans mes cheveux, mes lèvres contre les siennes, c'est le moment de la journée que je préfère. Juste avant de monter sur scène, alors que la tension monte peu à peu.

   C'est notre petit rituel de toujours. Simplement, depuis quelques semaines on le fait en cachette. Je déteste ça. Mais je ne peux pas cracher sur quelques minutes seul avec lui. Elles sont précieuses désormais.

   Notre baiser est bref, doux et intense à la fois. Je colle délicatement mon front contre le sien et nos respirations s'accordent, machinalement. Depuis que Drew a menacé de parler de nous à son père, Loup fait tout pour m'éviter en sa présence. Comme s'il ne se doutait pas qu'une fois la nuit tombée, on se retrouve dans le même lit.

   Je crois qu'il ne fait plus confiance à Drew parce qu'il a pris conscience qu'il ne travaille pas pour nous, mais pour son père. Il n'est pas de notre côté. Selon lui, le moindre écart de notre part pourrait l'inciter à nous « balancer », comme il le dit souvent. Hier, je l'ai traité de parano et il m'a tourné le dos toute la nuit. Je préfère ne plus rien dire et accepter ces petits moments avec lui. Au moins, il reste de bonne humeur.

   La voix de Drew résonne à nouveau dans le couloir :

   — Deux minutes !

   Loup me repousse doucement et plante son regard dans le mien. Son sourire est beau, mais légèrement gêné. Je lui rends un sourire à peu près identique : sincère, mais un peu dérangé. Il est désolé de ne pas pouvoir me donner plus et moi je suis désolé qu'il soit désolé. Il dépose un léger baiser sur ma joue, laissant sa main quitter mes cheveux, glisser le long de mon cou puis sur mon torse, avant de me quitter. Sa peau me manque déjà. Je la retrouverai après le concert, bien en sécurité dans le bus.

   Il quitte la pièce exiguë dans laquelle on se trouve et la porte se referme de nouveau sur moi. J'attends quelques secondes, comme d'habitude. Dans le noir, je revis notre baiser. Chaud, légèrement humide, avec un goût de trop peu.

   Dans ce cagibi, j'ai l'impression d'être de retour à Boviaret, dans notre petite chambre d'internat. Tout comme cette pièce, elle était le seul endroit où on pouvait se retrouver tous les deux, sans avoir à se retenir de quoi que ce soit. On ne pouvait pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller le surveillant qui dormait à côté. À l'époque, tout ça avait un côté très excitant et puis aucun de nous deux ne ressentait l'envie ni le besoin de s'afficher devant tout le lycée. Maintenant qu'on nous l'interdit, il n'y a plus rien d'excitant à se cacher, ça devient juste une technique de survie.

   Nous « balancer »... À chaque fois que je repense à ce terme, au ton négatif que Loup a dans sa voix quand il parle de nous, j'ai envie de frapper les murs, les portes et tout ce qui nous entoure. En ce moment j'ai l'impression d'être un criminel en cavale. Comme si j'avais fait quelque chose d'horrible et que je devais sans cesse me cacher de peur qu'on ne m'attrape. En quoi tout ceci est quelque chose d'horrible qu'il faudrait cacher à tout prix ? J'arrête pas d'y penser, la journée quand je vois Loup à quelques mètres de moi, mais que je ne peux même pas le regarder parce que Drew est là. J'y pense aussi la nuit, quand Loup est allongé près de moi, son corps contre le mien, sa respiration lente qui suit les battements de mon cœur.

   Pourquoi a-t-il si peur de son père ? Parfois, je me surprends à espérer que Drew nous « balance », pour qu'il l'affronte une bonne fois pour toutes et qu'on puisse reprendre là où on s'est arrêtés. J'aimerais comprendre, mais c'est plus fort que moi. Je veux juste qu'on soit heureux. Tous les deux.

   Malgré toutes les questions que je me pose, je laisse Loup me guider. Je le laisse choisir où et quand, parce que je ne peux faire que ça. Je le laisse m'ignorer pendant les interviews et m'attirer dans des pièces sombres juste avant de monter sur scène. Parce que rien ne compte plus à mes yeux que son contentement. Pour le moment, un certain équilibre semble être revenu. Je lui laisse les cagibis, il me laisse la scène. Même si, les premiers jours, il gardait ses distances, il n'a pas pu me résister bien longtemps.

   Je le cherche du regard, joue avec lui et chante à ses côtés. C'est ce qui me fait me sentir vivant, l'espace d'un instant. Comme si, pendant ces moments hors du temps, on se retrouvait de nouveau rien que tous les deux, dans notre chambre d'internat, à chanter nos chansons préférées.

   On a trouvé un nouvel équilibre dans cette étrange vie que l'on mène, mais pour combien de temps encore ?

   Cette dernière question effleure mon esprit lorsque je quitte enfin la petite pièce sombre pour rejoindre les autres qui m'attendent déjà pour monter sur scène. Elle reste dans ma tête pendant tout le temps que dure notre installation sur scène. Mais au moment où la musique se lance et que nos voix s'harmonisent, elle quitte mon esprit.

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LE JOUR OÙ LES ÉTOILES ONT CESSÉ DE BRILLERWhere stories live. Discover now