Chapitre 28

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Jilian ouvrit les yeux lentement avec l'impression satisfaisante d'avoir dormi, pour une fois, du sommeil du juste. Depuis combien de temps n'avait-il pas apprécié cette première seconde de conscience, de réveil, durant laquelle l'esprit faisait le constat d'une bonne ou d'une mauvaise nuit ?

Et pourtant cette fois, c'était perceptible, une impression stable. Il se sentait bien.

Et il se surprit de ça. D'une impression aussi nette, aussi naturelle.

Presque aussi simple.

Il se redressa constatant alors l'endroit où il s'était endormi. Le parquet ancien gardait la trace de son corps comme une empreinte dans la poussière. Son dos ne lui faisait pas mal.

Rien dans son corps ne le lançait, ne le piquait, ne l'étreignait.

Ses épaules se détendaient au fur et à mesure qu'il se réveillait, qu'il quittait les bras de la déesse du sommeil comme on quittait un lit, un nuage de volupté et de douceur.

Un bruit l'interpella, un son de canalisation, de métal qui grince. Il resta ainsi tandis que sortait de la petite pièce adjacente la silhouette d'Ali. Elle se figea sur le seuil, une mèche de ses cheveux lui retombant sur les yeux, sa tenue noire salie par la poussière, à présent plus grise que sombre.

Elle s'approcha à toute vitesse et s'assit face à lui.

— Tu es réveillé ! Est-ce que ça va ? Comment tu te sens ?

— Bien.

— Bien ?

— Je me sens bien.

Mieux qu'il ne l'avait jamais été même. Mieux qu'à n'importe quelle époque de sa vie. Il se sentait léger. Ses yeux tombèrent sur ses mains qu'il ouvrit puis referma.

— C'est comme si j'habitais vraiment mon corps maintenant.

L'odeur de la jeune femme lui parvenait avec cette même teinte extraordinaire mais ne provoquait plus le déchaînement de sa Faim. En réalité, il n'avait plus de désir de boire du sang. Plus de dissociation, plus d'angoisses qui se glissaient entre sa peau et sa personne. Plus de parasite dans sa tête.

L'autre... n'est plus là.

— Il a disparu ?

— Oui...

Il se sentait si bien qu'il avait l'impression de flotter, que tout était tranquille, lent, que rien n'avait plus d'importance que ce sentiment de plénitude.

Quel bonheur d'être ainsi.

Quel bonheur d'aimer son corps, sa tête, juste avec le sentiment de vivre, d'exister, d'être à sa place.

Existait-il un meilleur sentiment que celui là ?

Il n'a pas disparu, je ne crois pas, marmonna-t-il. Il a été absorbé. Je l'ai absorbé.

Il releva les yeux, Ali le fixait avec une concentration intense.

— Ça avait déjà commencé quand Ézriel m'a transformé mais c'était comme si cette absorption avait été incomplète et maintenant, il s'est fondu en moi.

Ce qui importait, c'était de ne plus l'entendre, de ne plus l'avoir dans un coin comme une tumeur enflée. Il eut presque envie de rire jusqu'à ce que ses yeux tombent sur les deux petits trous rougeâtres dans le cou d'Ali.

Il battit des paupières avant que, tout d'un coup, la masse de souvenirs accumulés ne lui revienne.

— C'est à moi de te demander ça, s'affola-t-il. Comment tu te sens ?

Le Manoir - Tome 2Where stories live. Discover now