Chapitre 16

466 61 26
                                    

Jilian était dans le noir, un noir terrible, oppressant, un noir qui évoquait la souffrance. Quand il ouvrit les yeux, il comprit qu'il était aveugle.

Il brûlait de l'intérieur, de l'extérieur, il sentait sa chair l'irradier d'une douleur incommensurable sur tous les millimètres de son épiderme. Il sentait les draps d'un lit qui lui faisaient l'effet d'un papier de verre. Il suintait, saignait, respirait à peine.

Il avait tort, tout n'était pas noir mais rouge, rouge comme la chair, comme le sang, comme le feu.

L'autre s'était tu. En lui régnait le silence. Ne restait plus que son corps, cette impossibilité de voir, de bouger, de parler. C'était pire que la mort.

Pire que tout.

Et il perdit connaissance à nouveau.

Il vagabondait de scène en scène, de film en film, de souvenir en souvenir en l'espace d'un battement de cœur. Il voyait les livres de la bibliothèque du sanctuaire renversés, étalés sur ce sol psychédélique qui lui donnait la migraine et une jeune femme se pencher pour les ramasser. Ayline lui disait « j'ai trouvé un nouveau travail » et son visage devenait ensuite plus pâle et ses cheveux plus noirs. Ali se fâchait, les bras pleins de livres, ils se trouvaient dans une des bibliothèques du manoir, celle qu'Andrea avait ravagé après la tentative désespérée des deux vampires aux yeux jaunes de la mordre. Elle s'insurgeait contre lui « tu ne m'aides pas, tu ne fais rien, on doit trouver la clef ».

Le rêve changeait, il se revoyait jeune adolescent, chez ses parents, alors qu'il traînait dans sa chambre, assis sur son lit, un extrait littéraire électronique posé sur les draps. Il revoyait tout, la décoration misérable, les meubles en mauvais état. Ayline était là, elle aurait dû avoir douze ans comme lui mais c'était sa présence d'adulte qui était installée sur la chaise de bureau. Elle tentait de lui expliquer le devoir d'analyse de texte qu'ils avaient à rendre pour le lendemain : « Ce n'est pas une histoire de creuser dans la terre, c'est une métaphore, le héros ne fait pas de spéléologie, ça symbolise ici sa propre recherche de soi, ses propres réponses. Chaque strate représente un palier de compréhension pour arriver au trésor principal ».

Il se souvenait qu'il n'y comprenait rien et lui avait demandé « quel trésor ? ». Encore maintenant ça lui paraissait vain de comprendre ce récit obligatoire pour les classes médiums.

Le rêve changea encore. L'escalier apparut, celui du sanctuaire, sombre et mystérieux, qui s'enfonçait dans le sol, dans la pénombre. Celui qu'il ne pouvait pas emprunter. Sur les marches, l'autre l'attendait, il avait par moment le visage d'Ézriel et marmonnait « on n'entre pas si on n'a pas la clef ». Le rêve se modifia encore et Jilian se retrouva sur le balcon aménagé d'un building, en plein combat, et tandis qu'il repoussait son assaillant, la rambarde sur laquelle ce dernier cogna se rompit. La chute arriva et il ne fit rien pour rattraper celui qui avait tué Ayline, celui qui l'avait martyrisée. Pourtant, cette fois, il tendit la main, attrapa la sienne, tenta de le retenir mais l'homme l'emporta, le faisant tomber avec lui.

Sur le sol, écrasé, sa main reposait dans une mare de sang et dans sa paume, une pomme rouge croquée. Le temps s'inversa et il remonta sur la balustrade, prêt à répéter la scène comme elle s'était déroulée.

Il était de nouveau ailleurs, dans sa chambre du manoir cette fois, la pomme qui se trouvait toujours entre ses mains saignait, se répandait sur son poignet. Il fit face à un miroir où il se voyait, entité monstrueuse, le visage craquelé de stries noires, les dents proéminentes. La peau qui noircissait, son crâne qui perdait ses cheveux, un monstre semblable à celui des souvenirs d'Ézriel.

La voix s'éleva quelque part, « nous tuerons Andrea , nous mordrons Ali », suivi d'un ricanement tandis que le son d'une horloge se déclenchait.

Jilian se réveilla en sursaut, la respiration sifflante, la peur au ventre. La douleur le saisit d'un coup sans lui laisser le temps de comprendre et le feu sur sa peau le ravagea à nouveau.

Le Manoir - Tome 2Where stories live. Discover now