Chapitre 13

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Fuir Ali s'avérait relativement facile à partir du moment où on pouvait la sentir arriver. Son odeur fantastique devenait étouffante lorsqu'elle se trouvait à proximité, ainsi, Jilian pouvait ensuite aisément s'éloigner.

S'éloigner était devenu le maître mot de son quotidien. Une alternative à la fuite.

S'éloigner d'Ézriel était par contre beaucoup plus ardu. Il était difficile de l'entendre ou de le sentir arriver et ce nouveau pouvoir, celui de remplir son esprit de sa parole, de faire de sa voix une religion, le rendait infiniment plus dangereux.

Entre les deux, Jilian trouvait une échappatoire : l'extérieur. Refusant de côtoyer les autres, d'avoir un majordome, de participer aux dîners. Il dormait peu. Ses rêves étaient parasités par des souvenirs, les siens et ceux des autres. Leurs visages disparaissaient, leurs noms aussi mais leurs images restaient. Leurs vies. Être dehors représentait la seule possibilité de liberté, d'éloignement.

Surtout en pleine journée.

A partir du moment où le soleil se levait, l'obscurité se faisait pour lui, il voyait à peine les arbres, se sentait comme un aveugle, incapable de faire un pas devant l'autre. Il faisait fuir les animaux mais au moins, ceux du manoir ne le suivaient pas. Ni Joy qui semblait savoir où le trouver à chaque fois, ni Ézriel qui le pistait comme un animal en chasse.

Ce jour-ci, il atteignit la limite de la propriété. Il se trouvait beaucoup plus à l'est que la dernière fois. Le terrain était moins vallonné dans cette partie-là du parc. Il ne pensait jamais atteindre les limites mais le mur qui apparaissait devant lui avait tout l'air d'une muraille.

La hauteur de cinq mètres étouffait l'horizon, ressemblait à une falaise, aussi effrayante qu'escarpée. Jilian longea le rempart, en suivit la trajectoire. L'apparition de ce mur faisait battre son cœur d'un sentiment d'espoir. L'échappatoire. S'il sortait enfin d'ici, s'il s'enfuyait pour de bon, le poursuivrait-on ? Le retrouverait-on ? C'était la fuite ultime, il ne pourrait pas revenir en arrière ensuite, peu importe son attachement à Téo, peu importe à quel point Ali lui manquait.

Sortir c'était partir.

Et c'était maintenant. Maintenant avant que le soleil ne se lève, avant que sa vision ne s'assombrisse et qu'il soit incapable de distinguer ce qui se trouvait devant lui.

L'ancien majordome avisa un arbre plus massif que les autres avec des branches faciles à atteindre, de quoi pouvoir basculer de l'autre côté.

Il suffirait seulement de...

« Hors de question. »

Jilian sursauta furieusement, son pied rata l'encoche et il tomba en arrière parmi la terre humide et odorante et ses feuilles mortes colorées.

« Je ne te laisserai pas gâcher toutes nos chances. »

— Tais-toi !

Sa présence enfla comme un ballon, étirant les rebords de sa conscience, l'arrachant à son sentiment factice de contrôle. Sa bouche s'ouvrit, s'arracha un cri silencieux tandis qu'il se prenait la tête entre les mains douloureusement.

« Laisse-moi les rênes. »

— C'est toi qui voulais fuir !

De l'extérieur à quoi ressemblait-il ? Penché ainsi, la tête entre les mains, secoué de douleurs, à crier des mots à l'intention d'un être invisible.

« C'est lui qu'on doit fuir, Ézriel. »

« Pas le reste »

« Ali nous attend. »

Le Manoir - Tome 2Where stories live. Discover now