Chapitre 3

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Le mot, formulé dans son esprit, fit ressurgir des émotions qui sommeillaient jusque-là. L'injustice, la colère, le désespoir.

Et surtout, l'impuissance.

Le sentiment horrible de ne rien pouvoir contrôler, que tout s'était passé sans qu'il ne le décide et qu'il se trouvait ainsi, à nouveau, prisonnier d'une condition.

Jilian repoussa brutalement Ézriel, à ses côtés, mais ce dernier ne broncha pas. Comme s'il avait anticipé ce qui allait se produire, qu'il s'était résigné.

— C'est... toi !

Sa voix était à peine réveillée, les mots râpèrent sa langue, cognèrent contre ses dents, mais sa rage l'animait.

La rage et la faim aussi.

Il n'y avait plus de déni, plus d'œillères pour se cacher la vérité. Tout était limpide. Violent. Alors Jilian comprit ce dont il avait véritablement faim, ce que sa douleur aux mâchoires signifiait et sa perception du monde à l'envers. Cette sensation terrible en lui d'être mort puis d'être revenu.

On ne revenait pas de la mort, pas entier en tout cas.

Il était revenu mais pas seul, la folie l'avait accompagné, atteignant à présent son point le plus culminant. Les hallucinations étaient passées de visuelles à auditives. L'autre pouvait prendre le contrôle.

— Je n'ai pas eu le choix, souffla Ézriel.

Il se tenait la tête, penché, mélancolique, ses mèches noires lui tombant devant les yeux, le visage divisé entre l'adolescent et le jeune adulte.

— Efface... je ne veux pas ... vous...

— On ne revient pas en arrière mon gars, grogna Noham en se servant un nouveau verre. Plus vite tu t'y feras, plus vite ça passera, crois-moi.

— Je ne... l'ai pas...

Noham ricana franchement :

— Comme tout le monde.

Il était impossible pour Jilian d'entendre cette réponse, d'assister à une sentence aussi évasive. L'insensibilité du wampÿr aux yeux de bronze s'apparentait presque à du mépris.

Du mépris pour sa personne, pour sa condition, pour l'horreur qu'il était en train de vivre.

Pour sa vie humaine, arrachée, enlevée, ensevelie, enterrée.

Il n'était plus lui.

— Je... pas être...

Dans le fond, pourtant, ne l'avait-il pas désiré ?

Ne l'avait-il pas pensé ? A ce que ce serait d'être eux ? N'avait-il pas été curieux, fasciné, envieux ?

Jilian refusa catégoriquement de penser à cela. Son corps s'enflamma soudain d'une rage qui semblait peu à peu l'éloigner du contrôle qu'il exerçait sur ce dernier.

La voix de l'autre, sa présence, n'avaient jamais été aussi insupportables, aussi proches de lui. Comme si ce dernier pouvait l'évincer, lui faire perdre ce qui lui restait de contrôle. Comme s'il pouvait exister, prendre vie.

Lui voler son existence.

— Tu ne pouvais pas mourir, souffla Ézriel en le fixant dans les yeux.

Il avait l'air déchu de toute arrogance, de toute émotion négative, il était là, les bras ballants, torturé.

— J'aur... préféré...

— Je ne pouvais pas faire ça. Je ne le pouvais pas.

Son insistance signifiait quelque chose mais Jilian refusait de l'entendre. C'était injuste et faux aussi. Il n'avait jamais souhaité mourir, que sa vie s'arrête sur un acte aussi violent. Mais dans le fond, est-ce que ça n'avait pas été la mort la plus juste pour lui ? Trépassé en ayant réussi à protéger quelqu'un d'autre ? Est-ce que ça ne réparait pas sa culpabilité, celle où il n'avait pas pu protéger Ayline ? N'aimait-il pas avoir poussé le sentiment d'utilité jusqu'au bout ?

Le Manoir - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant