Passion des Océans

A la veille d'un jour sombre

     Il s'était passé environ une vingtaine de jours entre l'instant où le Hellwater avait quitté le port de Hawkins et celui où Garett signala depuis la vigie l'apparition dans leur ligne de mire de l'île tant convoitée qu'était Skull Rock. Mais avant d'en arriver si proche du but, notre équipage avait été contraint de supporter le voyage qui ne s'était pas avéré de tout repos pour qui que ce soit.
     Jason n'avait pas tellement apprécié d'être rabattu aux corvées ménagères et autres mises aux fourneaux, le tout sous la surveillance exacerbée de ce petit joufflu aux cheveux frisés qu'était Dustin. Il avait souvent râlé, très souvent. Tant et si bien qu'il réussit plusieurs fois à limer jusqu'au trognon la légendaire patience de son superviseur qui lorsqu'il en avait eu assez le faisait attacher et enfermer dans une male pendant quelques heures pour ne plus avoir à le supporter. A force d'effectuer ses séjours dans sa zone d'enfermement, le Marquis avait tout de même fini par se résigner et obéir aux ordres qu'on lui donnait sans discuter.
     En parallèle de ça, le jeune homme avait tenté de se rapprocher de son ancienne femme pour essayer de nouer de nouveaux liens avec elle et tenter de remplacer ses mauvaises actions par de meilleures. Mais malgré sa gentillesse, Chrissy restait toujours distante avec lui lorsqu'il venait lui parler. Elle lui tenait des discussions courtoises plus parce qu'il le fallait que par envie. Malgré sa volonté de croire à un homme meilleur, la jeune femme n'avait jamais vraiment digéré ce que son mari lui avait fait subir par le passé.
     Pour Chrissy justement, le voyage avait eu ses bons comme ses mauvais côtés. La plupart du temps, elle s'amusait à jouer aux cartes avec ses collèges ou à participer aux mini festins qu'ils se prenaient parfois à organiser pour ajouter un peu d'amusement à leur traversée. Autrement, elle s'était accaparée la mandoline du Capitaine pour pouvoir continuer d'en pratiquer, ce qui lui permettait d'animer la galerie en chantant "The Wellerman" qu'elle connaissait maintenant par cœur. Mais d'un autre côté, l'ancienne Marquise avait replongé dans la mélancholie. Elle restait souvent sur le pont haut, penchée sur la barrière à contempler les sillons que le bateau laissait derrière lui. Parfois si longtemps qu'elle était prise de mal de mer et se mettait à vomir par dessus le rebord. Tout le monde lui avait demandé de faire attention, mais régulièrement le même scénario recommençait. Et tout ça car elle était terriblement inquiète pour le seul homme qui attirait son regard, Eddie.
     Le Capitaine restait très souvent seul à la barre, faisant des aller-retour entre sa cabine et le gouvernail pour être sûr de ne pas se tromper de chemin. Le garçon était particulièrement nerveux, et lorsqu'il arrivait à trouver le repos auprès de Chrissy dans leur lit il se réconfortait contre elle comme il la laissait se réconforter contre lui. Mais il savait bien qu'il inquiétait sa femme. Eddie restait très souvent à réfléchir seul à son bureau devant ses centaines de notes, ses vieux livres et ses cartes gribouillées. Il n'était d'ailleurs pas rare qu'il envisage de ne pas se rendre sur Skull Rock. Pour elle. Mais d'un autre côté, le jeune homme n'arrivait pas à s'imaginer revenir sur sa décision après toutes ces années et toutes ces vies investies à courir après son père. Il se sentait tiraillé entre les deux destins qui lui tendaient les bras et seul la sensation de son collier serré dans sa paume l'apaisait un peu car il s'agissait autant d'une représentation de son père que d'une représentation de Chrissy. Oui, il était bel et bien partagé.
     Tout ceci nous ramène donc à cet instant où Garett hurla de ses poumons chargés.

     - Skull Rock en vue mon Capitaine !

     Eddi quitta sa barre, s'avançant pour contempler la silhouette lointaine de l'île de ses désirs. Un frisson de terreur lui parcourut le dos, il inspira une profonde bouffée d'air frais qu'il relâcha de la même façon. Au même moment, une paire de bras entoura sa taille et il sentit une joue familière s'apposer au creux de ses omoplates. Il amena donc sa main sur celles qu'il trouva autour de lui, jetant un œil par dessus son épaule pour enfin apercevoir sa douce.