Naufrage

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     Hawkins n'accueillit pas le navire à l'aurore du lendemain, promettant encore bien une voire deux journées de bateau avant d'arriver à bon port. Voulant rendre ce temps utile, Carver ordonna qu'on fasse couler un bain à sa fiancée pour qu'elle se décrasse enfin un peu. Chrissy fixait la baignoire remplie d'eau bien chaude qui avait été préparée pour elle dans la loge haute du bateau qui les avait recueilli elle est Eddie, trouvant grotesque de faire la comparaison entre le Hellwater et ici. On vivait très bien sur le navire qu'elle avait connu avec les pirates pendant sa première traversée et elle se rendait compte à quel point la noblesse rendait excessive ce besoin d'en avoir toujours plus. Les cabines étaient spacieuses et remplies de choses inutiles pour un marin type, sans parler de la nourriture qui se composait de poulet fumé ou de dorade bien grillée, le tout toujours accompagné de bon vin. Comment en si peu de temps sa vision des plaisirs qu'elle avait eu dans sa vie précédente avaient pu prendre une telle aigreur sur sa langue? Elle fronça le nez en admirant l'eau, soupirant avec dédain avant d'y rentrer lentement et de s'y asseoir. 
     La Comtesse n'était pas stupide, elle avait bien vu avant son arrivée que son fiancé était venu lui apporter une belle robe dentelée qu'il avait déposé sur l'un des petits escabeaux de bois où était soigneusement plié le linge de bain et où siégeaient les paniers de savon. Elle n'avait pas hâte de sortir de la bassine pour s'en vêtir de cette chose, mais le personnel du bateau lui avait ôté les vêtements que son Capitaine lui avait offert pour justement se sentir plus à l'aise pendant son voyage en mer. Elle se saisit de son savon et frotta sa peau, voulant éviter le plus possible de recevoir d'autres commentaires sur son odeur de la part de Carver. Il lui avait dit qu'elle sentait la chèvre. Si cet imbécile avait seulement su qu'elle s'était noyée dans l'océan à peine deux jours plus tôt, peut-être l'aurait-il moins ouverte sur les effluves marines qui émanaient d'elle. Quoi que, il devait s'en ficher roylement.
     Et peut-être aussi aurait-il été plus clément avec Edward qui avait été littéralement traîné ligoté à la cale comme un vulgaire sac de graines. Rien que d'y penser, l'estomac de Christine se tordait. Elle l'avait regardé se prendre tant de coups sans pouvoir rien faire pour l'aider. Si ses bras ne s'étaient pas trouvés sanglés par plusieurs hommes, elle aurait sorti son sabre pour courir le défendre. Mais au lieu de ça elle s'était montrée faible et avait laissé l'amour de sa vie se faire massacrer sous ses yeux par son fiancé. Sans parler du fait qu'ils rentraient actuellement à Hawkins et que là bas c'était la corde qui l'attendait. Elle se savait également conviée à l'exécution de son kidnappeur, Jason s'étant fait une joie de lui annoncer, et elle n'osait pas même entrevoir l'idée d'assister à la pendaison de Eddie. Les nausées la prenaient dès qu'elle y repensait.
     Chrissy sortit de l'eau pour aller se sécher rapidement, tordant ses cheveux dans sa serviette pour raviver ses boucles qui s'étaient presque désagrégées à cause du contact répété avec l'eau de mer. Puis elle s'arrêta devant l'une des glaces de la pièce, s'observant pour la première fois depuis un bon moment. Et quelle ne fut pas sa surprise de se trouver si différente. Physiquement, peu de choses avaient changées. Certes elle avait un peu maigris à cause des repas de pommes de terre incessants et du manque de viande évident et sa peau s'était légèrement blanchis, mais c'était son regard qui l'avait réellement effrayée. Ses prunelles habituellement éclatantes d'un presque turquoise avaient basculées vers un ton plus fade et grisâtre, et l'air que portaient ses yeux se voulait plus savant et moins naïf qu'à l'époque de son départ.
     Christine n'avait plus rien de la petite fille de la haute qu'on avait fait d'elle. La jeune femme avait vu et entendu beaucoup de choses au cours de son voyage. Elle avait découvert un monde qu'on lui avait pourtant décrit comme malhonnête, dangereux et cruel et qui s'était finalement avéré bon vivant, généreux, compréhensif et attentionné avec elle. Maintenant, elle avait plus l'impression de décrire la noblesse que la piraterie avec ces premiers adjectifs dégradants. Elle l'avait compris, les véritables monstres n'étaient pas ceux que l'on pointait du doigt, mais plutôt ceux à qui appartenaient le doigt. Les tables avaient tournées. Son regard sur le monde avait complètement changé. Plus rien ne serait jamais comme avant pour la Comtesse.

Passion des OcéansWhere stories live. Discover now