Passion des Océans

Romeo et Juliette

     Un mois. Puis deux. Trois. Le sixième. Et six autres. Une année complète s'était écoulée depuis la grande séparation des amoureux interdits. Chrissy en avait compté chaque mois, chaque semaine, chaque jour, chaque heure, chaque minute. Jusqu'à ce que... Qu'elle arrête de compter.
     La Marquise avait compris depuis un moment déjà que son merveilleux prince de la mer ne reviendrait jamais la chercher et qu'il était temps pour elle de s'accoutumer à son quotidien d'épouse fidèle ainsi que de mère de l'héritier au titre. Bien que jusqu'ici aucune tentative d'en mettre un au monde ne se soit montrée fructueuse. Jason se mettait souvent en colère lorsqu'ils abordaient le sujet, fatigué de ne jamais voir arriver de garçon pour lui succéder malgré leurs efforts. Chrissy ne tombait tout simplement pas enceinte.
     Et étonnamment à sa plus grande surprise, c'était quelque chose qui l'avait profondément atteinte, se sentant plus triste chaque jour de ne pas être en mesure de faire la seule chose qu'on attendait d'elle dans cette vie déjà bien minable qu'on lui avait imposée. Elle s'en sentait même parfois si bouleversée qu'elle restait alitée ou bien mélancolique à la fenêtre toute la sainte journée. Un fois encore, son mari pestait souvent après elle en accablant sa "paresse".
      La jeune femme était malheureuse dans son mariage, le collier de fer scellé à son cou lui ouvrant de nouvelles plaies chaque fois qu'une autre réussissait à guérir. Elle espérait donc qu'un jour un nouveau petit être à aimer lui apporterait la chaleur qui manquait à sa vie.
     Quoi qu'il en était, un an signifiait fête d'anniversaire de mariage. Un grand bal avait été organisé pour ce soir à l'initiative du Duc Cunningham qui ne manquait jamais de fourrer son nez dans les affaires de sa fille et de son gendre, se permettant même d'inviter tout le Royaume de Hawkins à venir à la seule condition d'être masqué. Quelle drôlerie, avait pensé Chrissy. Mais d'une certaine façon elle trouvait l'idée de cacher une partie de son visage plutôt amusante, et peut-être même qu'il serait plus facile pour elle de se faire oublier si on ne la reconnaissait pas là derrière.
     Pour sa soirée, la Marquise avait exigé une robe moins encombrante qu'à son quotidien pour pouvoir danser et se mouvoir à son aise. Elle avait donc orienté son choix vers une qui n'aurait pas autant de jupons, son tissus coloré d'un violet profond absolument envoutant. Pour ses cheveux, elle les avait fait monter en gros chignon haut par Heather qui s'était soigneusement appliquée à arranger la moindre mèche, en tirant certaines hors des attaches pour les laisser pendre autour du visage pâle de leur propriétaire. Ses lèvres étaient peintes d'un rouge profond, ses yeux d'un violet pâle. Elle était ravissante, absolument divine même d'après sa servante. Mais quand elle se regarda ainsi apprêtée dans son reflet, Chrissy se trouva laide et sans charme. Il ne restait pas grand chose d'elle même dans ce corps qui pourtant semblait ne pas avoir changé. Quoi que, peut-être avait-elle perdu un peu de poids, et ses yeux n'avaient plus leur éclat d'antan. 
     La jeune femme ramena ses mains liées contre l'avant de sa robe, tournant de droite à gauche pour s'admirer autant que possible avant de se tourner vers sa servante qui lui sourit sincèrement. Heather jalousait sûrement ces étoffes que la Marquise portait sur elle, mais les voir ainsi parer le corps de sa Maîtresse la ravissait déjà amplement. Elle se permit même de faire un commentaire.

     - Vous êtes ravissante Madame.
     - Je te remercie Heather.
     - C'est Monsieur qui va apprécier, je le sens.
     - Ne dis pas de bêtises.. Tu sais très bien qu'il n'y a pas grand chose qu'il apprécie de moi. D'autant plus depuis qu'il s'est rendu compte que je ne réussissais pas à lui donner un garçon..
     - Ca viendra avec le temps Madame. Un jour vous verrez. En attendant, tout ce que vous avez à faire pour lui c'est d'être belle et bien maniérée. Quoi de plus simple?
     - Oui.. Quoi de plus simple..

     Tout était plus simple que ça. Christine avait envie de hurler au monde qu'elle n'était pas faite pour ces fantaisies et que la vie pour elle était d'avoir le droit de courir, de boire, de parler fort et de rire aux éclats, mais aussi de voguer sur l'océan en compagnie de quelqu'un qu'elle aurait choisi elle-même.
     A cette pensée, la jeune fille chassa ses songes de son esprit et alla se parer de quelques bijoux pour parfaire sa tenue. Puis elle soupira profondément, se redressant bien droite et époussetant son corset avant de revêtir son masque de bal et de quitter sa chambre avec la tête haute et l'expression neutre. Elle ne se permettait d'être plus expressive qu'en compagnie de Heather, mais en dehors de sa chambre elle ne laissait plus rien paraître de sa tristesse.
     Dans les couloirs vides raisonnaient les mélodies de l'orchestre qui jouait dans la grande salle de bal à l'étage du dessous, indiquant à la jeune femme que la fête avait déjà commencé. Elle craignait de voir le monde, d'échanger des banalités comme "Dites donc les premières chaleurs arrivent tôt cette année" ou bien "Vous aviez entendu que la Comtesse Wheeler s'était acoquiné avec un non noble dans le dos de son fiancé le Marquis Harrington? Quelle histoire..". Non, rien qui ne faisait envie à Chrissy dans l'immédiat.
     Finalement, la Marquise apparut à l'entrée de la grande salle baignée de lumière, de musique et de blabla de tout les côtés. Elle s'engagea parmi le monde, saluant au passage chaque visage connu d'un sourire et d'un hochement de tête, cherchant son mari parmi la masse. Celui-ci discutait près de la cheminée de marbre, accoudé et un verre à la main, discutant avec d'autres hommes probablement aussi gradés que lui avec un sourire désuet qui était la raison pour laquelle la Marquise l'avait immédiatement reconnu sous son masque. Puis il aperçut sa femme, lui faisant signe pour qu'elle le rejoigne. Et lorsque Chrissy arriva à son niveau, Carver entoura sa taille du bras pour la désigner comme son appartenance.