Chapitre 43 : La forêt

31 9 0
                                    


- Vous ne pouvez pas vous marier !
C'était la onzième fois que Wilhelm entendait ça aujourd'hui. Il se massa les tempes, étira sa nuque et se concentra sur son devoir de mathématiques. La voix stridente de sa grand-mère résonnait dans les couloirs de la maison. Elle avait débarqué la veille, avec leur grand-père. Depuis elle poursuivait Jonas dans toutes les pièces en lui martelant que son mariage était une mauvaise idée. De temps à autre son mari acquiesçait, peu contrariant. Maximilien les accompagnait mais il était le seul à ne pas émettre de commentaire, plus blasé que concerné par ce drame familial. Depuis son arrivée il attendait assis sur le canapé, avec un air ennuyé.
- Mère, c'est à moi d'en décider ! répliqua le père de Wilhelm.
Agacé par les cris, le jeune homme laissa son devoir de côté et descendit pour se faire un thé pendant que tout le monde se disputait dans la salle à manger. Sa grand-mère fit mine de ne pas le remarquer et son grand-père lui adressa un signe de la tête imperceptible.
- Tu as perdu la tête mon fils ! Elle t'a encore ensorcelé pour que tu prennes une décision aussi stupide !
- Bien sûr que non ! s'indigna Jonas. Nous avons juste eu une discussion responsable. Nous nous marierons, que ça vous plaise ou non ! Je me passe de votre permission et encore plus de votre avis !
Wilhelm gagna la cuisine avant que la harpie qui lui servait de grand-mère ne s'étouffe d'indignation. Ils continuèrent de se crêper le chignon tandis qu'il préparait son thé. Maximilien le rejoignit tandis qu'il se servait.
- Je peux en avoir un peu s'il te plaît ? Peut-être que ça réussira à détendre mes nerfs. Je supporte mal les hurlements de ma mère, encore plus depuis mon passage sous forme canine.
Ils étaient deux dans ce cas. Ils s'installèrent et sirotèrent leur boisson dans un silence rompu par les cris. Tantôt ceux de son père, tantôt ceux de sa grand-mère.
- Mère est déchaînée aujourd'hui, commenta Maximilien. Je plains Jonas.
- Elle ne l'est pas tout le temps ?
Son oncle lui adressa un petit sourire. Il paraissait préoccupé, sans doute à cause de Lilia.
- Merci d'avoir convaincu Longus de me soigner, finit-il par dire entre deux gorgées de thé. Il déteste les bourgeois d'Hesse-Cassel depuis l'accident de sa femme. Il a l'air de t'apprécier, ce qui est assez étonnant pour qu'on le mentionne.
- J'ai souvent été à l'infirmerie depuis le début de l'année, avoua Wilhelm. Je suis un patient régulier, c'est pour ça qu'il m'a à la bonne.
- Jonas nous a parlé de tes fameuses crises. Personne n'a jamais été sujet à ça dans notre famille. Henri ne t'a pas encore harcelé pour que tu passes des tests ?
- Si mais les résultats ne sont pas concluants. Et...Et toi ? Comment tu te sens ?
- Bien, dit-il après un léger moment de réflexion. J'ai encore du mal à me souvenir que je suis humain par moments. Et, je ne pensais jamais dire ça un jour, mais il y avait des avantages à être un chien. Surtout l'ouïe et l'odorat. Maintenant je n'arrive plus à entendre les messes-basses de mes parents. Peut-être qu'ils savent où est Lilia...
- Je suis persuadé qu'elle reviendra bientôt, le rassura Wilhelm.
Après tout il s'en chargerait personnellement, il avait déjà tout planifié. Le vendredi soir, après une semaine à rallonge ponctuée par les disputes entre sa grand-mère et son père, Wilhelm se prépara à son expédition dans les bois. Il fit son sac et envoya un message à Blaise pour confirmer l'heure à laquelle ils se retrouveraient à l'orée de la forêt.
Huit heures, répondit le dragon.
Wilhelm se leva aux aurores, quand la maison dormait encore. Il s'habilla en quatrième vitesse et enfila son sac sur ses épaules. Avec ses chaussures de marches et sa casquette, il ressemblait à un promeneur du dimanche. Il ne manquait plus qu'un bâton et une paire de lunettes de soleil pour compléter le tableau. Il atteignait la poignée de la porte d'entrée quand une voix demanda dans son dos :
- Où est-ce que tu vas ?
Wilhelm jura tout bas. Il voulait mettre les voiles sans se faire remarquer car il craignait que son père ou sa mère le retienne.
- Je vais me promener dans les bois avec Blaise, répondit-il à Thérance.
Son jumeau ricana.
- Toi ? Dans les bois ? Ça ne te ressemble pas.
- Blaise tenait à faire cette sortie, mentit-il. J'ai fini par céder.
- Sois prudent en forêt. Je te connais, tu es du genre à te fouler une cheville à cause d'une racine ou t'ouvrir la main sur une pierre.
Il y avait longtemps que Thérance n'avait pas tenu des propos aussi gentils. Depuis l'annonce du mariage, le froid entre eux s'était changé en blizzard. Wilhelm s'attarda sur son jumeau en tee-shirt et jogging, encore un brin fatigué. Ses cheveux blonds brillaient dans la lumière fantomatique du soleil matinal.
- Blaise connaît bien les bois, il ne m'arrivera rien.
Ils échangèrent un dernier regard. Thérance sembla sur le point d'ajouter quelque chose mais se ravisa et remonta dans sa chambre. Wilhelm referma la porte derrière lui avec délicatesse. Il ne partait pas entièrement comme un voleur : il avait laissé un mot à ses parents sur la table de la salle à manger.
En chemin, il grignota des biscuits et se gorgea du silence paisible, le calme avant la tempête. Des oiseaux chantonnaient ici et là dans l'air vif du matin. Quand il arriva au point de rendez-vous, Blaise l'attendait déjà. Comme Wilhelm l'avait deviné grâce à son conte, Flore patientait à ses côtés.
Ils se chamaillaient avec des gloussements de dindons et des sourires jusqu'aux deux oreilles quand Wilhelm s'éclaircit la voix pour les avertir de sa présence. Flore et Blaise s'écartèrent aussitôt l'un de l'autre et prirent un air distant qui ne trompait personne, surtout pas un conteur. Wilhelm réprima un rictus moqueur.
- Salut Flore, lança-t-il. Toi aussi tu avais envie de te mettre au vert ?
- Oui : j'apprécie la forêt, répondit la jeune femme avec un sourire presque timide.
Elle était moins réservée lors de la soirée de Thérance ! L'alcool ne déliait pas uniquement la langue il fallait croire...
- Mettons-nous en route, décida Blaise pour couper court au malaise. Will, est-ce que je peux voir les explications d'Henri ?
Le jeune homme lui confia la feuille. Son ami lut les indications puis s'engagea dans la forêt sans un mot, plein d'assurance. Wilhelm s'attendait à le découvrir enthousiaste et trépignant d'impatience mais certainement pas aussi sérieux, presque grave. Soit son ami prenait cette mission très à cœur, soit revenir sur les lieux de son enfance ne l'enchantait pas. Flore le rejoignit et ils commencèrent à parler à voix basse. Génial, il allait tenir la chandelle ! Il ne s'avisa pas de se plaindre, trop concentré sur son objectif pour se laisser distraire par les mièvreries de ses guides.
Plus ils marchaient et plus la forêt devenait dense et sauvage. Le chemin devint le seul endroit où poser le pied sans rencontrer des fougères ou des ronces. Parfois une racine le traversait. Wilhelm crut percevoir des mouvements fugaces du coin de l'œil plus d'une fois. Il se rapprocha un peu de Blaise et de Flore, dont les échanges de regards amoureux en disaient long sur leur relation.
Ils firent une pause en fin de matinée et Wilhelm se laissa tomber à terre, à bout de souffle. Le sport et lui n'auraient jamais une bonne alchimie. Pendant qu'il buvait, Blaise grimpa à un arbre et se suspendit à une branche par les jambes. Flore éclata d'un rire léger et carillonnant à cause de cette pitrerie un brin immature. Au secours, songea Wilhelm. Il avait l'impression d'être coincé dans une des séries à l'eau de rose de sa mère.
Ils reprirent leur route sans dévier du chemin, après une demi-heure de repos bien trop courte. Dans cette partie de la forêt, l'air ne se réchauffait pas à cause des branches qui ombrageaient la route. La lumière qui filtrait à travers les feuilles conférait au lieu une atmosphère glauque. L'humidité régnait et les bruits eux-mêmes s'étouffaient. Wilhelm déglutit. Il pensa bêtement qu'il était encore temps de rebrousser chemin mais se força à mettre un pied devant l'autre. Il n'avait pas fait tout ça pour renoncer à la dernière minute. Sa tante soutiendrait ses parents, surtout s'il...disparaissait.
Lors de la seconde pause en fin d'après-midi, il ne sentait plus ses pieds. Comment Flore et Blaise pouvaient-ils être aussi en forme ? Sans doute parce qu'ils batifolaient trop pour se rendre compte de leur fatigue. Le jeune homme retira ses chaussures et soupira à la vue des ampoules. Combien de kilomètres avaient-ils parcouru ? Combien encore avant d'atteindre le refuge de l'ensorceleuse ?
- Ça va aller Will ? Tu as l'air sur le point de passer l'arme à gauche.
- D'où est-ce que tu sors cette expression toi ? Au lieu de te payer ma tête, dis-moi dans combien de temps on arrive.
- Pas avant la nuit, à mon grand regret. Il va falloir te préparer à affronter les hôtes de ces bois.
Les fameux monstres du conte. Wilhelm se les figurait comme un croisement entre des dinosaures et des félins.
- À quoi ils ressemblent ? demanda-t-il à Blaise.
- Tu jugeras par toi-même, je ne veux pas gâcher la surprise.
- Reste près de nous, lui conseilla Flore. Nous te défendrons s'ils attaquent.
Wilhelm se sentit subitement d'une inutilité prodigieuse. Il allait laisser ses amis faire tout le travail pour lui. En réfléchissant bien, en dehors de l'écriture et de sa langue acérée, il ne possédait aucun talent. Il n'avait pas le moindre pouvoir magique et ne savait pas manier une seule arme sans se blesser. Il préférait ne pas parler de son endurance physique limitée.
Jusqu'à présent il se débrouillait mais ce manque finirait par lui jouer des tours. Par exemple face à Thérance, lors de l'épisode du puits. Incapable de se défendre, il tomberait dans un foutu trou sans fond ! Cette pensée l'énerva prodigieusement.
- Tu es encore avec nous Will ? Nous allons reprendre la route, lui annonça Blaise.
Le jeune homme étira ses jambes et ses pieds le lancèrent quand il se redressa. Il resta deux pas derrière Blaise et Flore, qui cessèrent aussitôt les œillades amoureuses et les petits contacts. Il hésita à leur dire qu'ils pouvaient poursuivre, que ça ne le gênait pas. Plutôt que de se concentrer sur eux, il surveilla la nuit qui tombait à travers le feuillage. L'air se refroidissait à mesure que la lumière diminuait. Bientôt sa veste ne suffit plus à lui tenir chaud. Il se frictionna les bras tandis que Blaise tirait une lampe torche de son sac à dos.
Avec la nuit, le vent se leva. Il souffla entre les branches, fit craquer l'écorce des arbres et gémir les troncs. Wilhelm se rendit compte à quel point il était stressé quand il sursauta au contact d'une branche morte sur son épaule. Devant lui, Blaise et Flore marchaient sans un bruit. À côté d'eux, il se sentait lourdaud et maladroit. Ils devinrent de plus en plus nerveux au fur et à mesure de leur progression.
Alors que le chemin débouchait sur une clairière, Wilhelm marqua un temps d'arrêt. C'était là. Le piège se dressait à quelques pas d'eux et ils n'avaient aucun moyen de l'éviter. Pour retrouver Lilia, ils devraient traverser. Blaise s'arrêta en s'apercevant que Wilhelm ne suivait plus.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Nous allons nous faire attaquer si nous avançons à découvert.
Son ami réfléchit une poignée de secondes puis murmura :
- Puisque nous n'avons pas le choix...Restez derrière moi.
Wilhelm obéit mais Flore se planta aux côtés de Blaise.
- Hors de question que tu les affrontes seul. À deux nous seront plus forts.
- Tu ne sais pas te battre, répliqua le dragon.
- Pas avec mes poings mais j'ai d'autres talents, rétorqua-t-elle en portant la main à son cœur.
Blaise acquiesça et déploya ses ailes sur toute leur envergure, majestueux. Ils entrèrent dans la clairière cernée d'ombres. Le cœur de Wilhelm battait à tout rompre alors qu'un silence surnaturel les enveloppait. Même le vent s'apaisa. La lune les auréolait d'une lueur spectrale qui rendait les ténèbres encore plus épaisses. Blaise et Flore formaient un mur devant lui, rigides et débordants d'assurance.
Wilhelm retint son souffle quand le premier monstre pénétra dans la clairière. Il avait raison : ils ressemblaient à des dinosaures, à la différence près qu'ils avaient la taille d'un loup ou d'un ours. Leur peau couverte de plaques luisantes reflétait les rayons lunaires. Ils possédaient deux grands yeux jaunes fendus par une pupille noire d'encre. Hauts sur pattes et pourvus d'une longue queue effilée, ils étaient incontestablement des prédateurs redoutables. Les trois griffes marron foncé qui terminaient leurs membres déliés et musclés en attestaient tout autant que les crocs pointus qui dépassaient de leur gueule massive. C'était sans doute le plus étonnant et le plus notable chez ces créatures : leur tête et leur cou bien trop massifs par rapport au reste de leur corps.
Les plus gros se trouvaient en tête, suivis par de plus petits. Ils communiquèrent entre eux par des stridulations et restèrent à une distance prudente. Ils évaluaient leurs proies. Wilhelm carra les épaules et essaya de se donner l'air plus massif qu'il ne l'était. Il avait entendu dans maints reportages que cette technique pouvait dissuader les prédateurs d'attaquer.
Puis le chef de meute arriva et ce qui lui restait de courage bravache s'effondra comme un château de cartes. Il faisait deux fois la taille des autres et une paire d'ailes couvertes de plumes grisâtres était repliée dans son dos.
- Voilà la reine, dit Blaise en faisant craquer sa nuque. C'est elle que nous devons faire tomber la première.
- Ils sont vraiment horribles à voir, soupira Flore.
- Tu parles de mes lointains cousins, un peu de respect !
- Tu ne tiens pas d'eux pour ce qui est du physique, dit Flore avec une voix un brin langoureuse. Ta forme d'origine est bien plus appréciable.
Est-ce qu'ils étaient en train de flirter dans un moment pareil ?! Wilhelm hésita à s'éclaircir la gorge. Pour un peu il tremblait de tous ses membres alors que Blaise et Flore prenaient cette attaque pour un simple divertissement. Est-ce qu'ils étaient habitués à de telles confrontations avec ces créatures ?
Aucun doute que oui pour Blaise. Le dragon avait vécu assez longtemps dans ces bois pour se frotter à eux plus d'une fois. Mais Flore ? Il se résigna à lui demander plus tard et se concentra sur les mouvements des monstres qui les cernaient peu à peu. Blaise étendit les ailes autant que possible et un hurlement qui n'avait rien d'humain monta de sa gorge, bestial et plus grondant que le tonnerre.
La meute marqua une pause dans son déploiement. Comme Blaise n'attaquait pas, ils reprirent leur progression après un sifflement autoritaire de la reine. Celui-ci maintenait le dragon dans son champ de vision.
Avant que les créatures ne les entourent complètement, Blaise ouvrit la bouche. Une lueur blanche monta de sa gorge en gonflant sa peau sur son passage et franchit ses lèvres. Du feu, un torrent orange et rouge, s'abattit sur l'herbe verte de la clairière en guise d'avertissement. Une odeur de brûlé piqua les narines de Wilhelm. Les monstres poussèrent des hurlements stridents et reculèrent. Seule la reine demeura à sa place, face aux flammes.
D'un coup d'aile, elle déclencha une rafale qui éteignit le brasier. Elle bondit vers Blaise mais des racines noueuses crevèrent la terre pour s'enrouler autour de ses membres et la plaquer au sol. Flore leva la main et les racines resserrèrent leur prise. La jeune femme luisait faiblement, comme si un projecteur lointain était braqué sur elle. Ses yeux avaient pris la couleur de la lune et conféraient à son visage un aspect irréel.
Blaise cracha un nouveau torrent de feu vers la reine. Il lui roussit une aile ainsi qu'une patte. La bête hurla dans les aigus et Wilhelm se boucha les oreilles, les tympans vrillés par la plainte de la créature. Elle se débattit tandis que sa meute hésitait sur la marche à suivre. Les plus gros attaquèrent en vague compacte.
Blaise les repoussa à l'aide de ses flammes mais l'un d'eux le prit de revers sans qu'il s'en aperçoive. Traversé par un élan qui n'avait rien d'héroïque, Wilhelm décida d'intervenir avant que son ami soit blessé. Le seul brin de fierté mal placée en lui lui criait d'arrêter de se tourner les pouces et de se montrer un peu utile.
Wilhelm ramassa une pierre et la lança sur la bête. Le projectile la toucha en plein dans l'œil. Elle émit une stridulation et se campa face au jeune homme. Quelle idée stupide avait-il encore eu ? Quand elle commença à courir vers lui, il décampa dans les bois. Son réflexe de survie se transforma en piège. Les plus petits se lancèrent à sa poursuite en le voyant isolé du reste du groupe.
Il jura tout haut alors qu'une branche lui fouettait le visage. Le conte n'avait pas parlé de ça ! Il trébucha sur une branche morte et se rattrapa de justesse en s'écorchant les paumes sur un arbre voisin. Les cris de la meute se rapprochaient. Il se força à courir et abandonna son sac à dos derrière lui.
Il haletait quand il atteignit le bord d'un dénivelé. Il s'arrêta à la limite de la pente raide, la pointe des chaussures dans le vide. S'il s'engageait là-dessus, il se romprait le cou. Mais avait-il le choix ? La meute le rejoignait déjà. La gueule grande ouverte, ils n'attendaient que de le déchiqueter. Il frissonna. Ça ne devait pas se passer comme ça : cette bataille était censée s'achever sur leur victoire, pas sur sa mort !
Une plainte longue et aiguë se répandit dans la forêt. La meute s'arrêta dans son attaque, à un cheveu de le percuter, et gémit à son tour. Les monstres secouèrent la tête et se détournèrent comme un seul homme sans plus se soucier de leur proie. Wilhelm les vit disparaître entre les arbres sans croire à sa chance, agité de tremblements nerveux. Il attendit dans la nuit noire, sans oser bouger, de longues minutes.
- Will ! Will !
L'appel lointain de Blaise le tira de sa paralysie. Il se dirigea vers la voix de son ami, rassuré de l'entendre. Le dragon le cherchait dans les bois, affolé. Du sang poisseux et sombre maculait ses mains. Il soupira de soulagement quand il l'avisa entre les arbres.
- Tu devais rester derrière moi ! le réprimanda-t-il.
- Désolé.
Il ne pouvait rien répondre de mieux. Blaise lui rendit son sac, que la meute avait piétiné lors de la poursuite. Le dragon ne le quitta pas d'une semelle tandis qu'ils regagnaient la clairière. Blaise boitait et grogna lorsque Wilhelm lui fit la remarque :
- Une de ses saloperies m'a attrapé la cheville. Flore l'a étouffé, il y a plus de peur que de mal.
Wilhelm imaginait mal la douce petite Flore étrangler à mort qui que ce soit : elle cachait bien son jeu. Elle patientait dans la clairière à côté du cadavre de la reine, que Blaise avait proprement décapité. Wilhelm inspira pour chasser son haut le cœur et son ami lui donna un coup d'épaule.
- Tu as vu la face sombre d'Hesse-Cassel. Les combats ne sont grandioses que dans la fiction Will. Dans la vraie vie ils sont terrifiants. Et sales.
Il fronça le nez et secoua ses mains ensanglantées.
Ils reprirent leur route comme si de rien n'était, ou presque. Blaise s'appuya sur le bras que lui tendait généreusement Flore pour soulager sa jambe blessée. Il se plaignait plus que nécessaire et la jeune femme qui prodiguait des paroles de réconfort. Wilhelm n'avait plus assez d'énergie pour être exaspéré par leurs roucoulades.
L'attaque et la fuite dans les bois avaient eu raison de ses dernières forces. Il marchait comme un automate avec une seule consigne en tête : un pied après l'autre. Il s'apprêtait à supplier pour une pause quand le chemin s'élargit et que la maison de l'enchanteresse se profila devant eux.

Les contes de RosenwaldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant