Bien sûr, cela ne se fit pas en un jour, ni en un mois. Les enfants ne commencent à former leurs premiers souvenirs qu'à l'âge de trois ans : c'est dire si leur cerveau a besoin de temps pour se développer. Tsunami eut ses premiers souvenirs bien avant cette date, mais elle ne les comprenait pas vraiment. Elle se développait comme une enfant normale... Peut-être un peu plus vite, cela dit. Elle parla assez rapidement, avant l'âge d'un an. Elle passa l'étape de « Papa » et « Mama » à l'âge de huit mois, et commença rapidement à faire des phrases complètes. Elle savait saisir des idées qui auraient paru complexes à n'importe quel bébé (le besoin d'aller faire les courses pour faire à manger, le danger de la cuisinière allumée, le fait que la boulangerie n'ait plus sa pâtisserie préférée). Quand elle eut trois ans, sa mère lui annonça qu'elle allait être une grande sœur, et elle se montra étonnamment mature. Par la suite, elle apprit à changer les couches de sa petite sœur sans protester, même si elle se plaignait de ses pleurs, et elle traita toujours le nouveau bébé comme un être humain fragile et non une poupée. Elle fut toujours qualifiée de gamine très intelligente. Mais pas au point que ça soit considéré comme anormal, en tous les cas. Ou peut-être que, dans ce monde, la définition de l'anormalité était un peu plus souple que dans son monde d'origine...

Parce que ce n'était pas son monde d'origine. C'était un autre univers, et pas n'importe lequel. Elle le savait, de façon abstraite, parce que l'architecture était différente, les gens portaient des vêtements étranges, les passants semblaient se déplacer autant dans la rue que sur les toits (et Tsunami se souvenait que dans son monde d'origine, il était assez impossible de faire des bonds de dix mètres de toits en toits). Mais ce n'est que vers l'âge de quatre ans qu'elle leva les yeux et vit la falaise sur laquelle étaient sculptés trois visages qu'elle n'avait vu jusque là que dans ses souvenirs-rêves, et qu'elle réalisa qu'elle était tombée dans un univers de fiction. Un manga. Plus précisément, le manga Naruto.

Bon. Il fallait être positif. Au moins, ce n'était pas Game Of Thrones.

Mais bon. Est-ce que atterrir dans le monde d'Harry Potter ou de Narnia, ça aurait été trop demander ?

Une petite part de l'esprit de Tsunami s'inquiétait. C'était comme un mauvais pressentiment persistant, la sensation d'avoir oublié quelque chose d'important. Mais justement, elle n'avait rien oublié. Naruto, Kakashi, le Kyūbi, l'Akatsuki, Orochimaru, Madara, elle se souvenait très clairement de tout ça. C'était juste que ça semblait... Irréel. Ce n'était pas des souvenirs concrets. Ils étaient étouffés, comme séparés d'elle par un épais double-vitrage. Distants. Pas importants. Comme les échos d'un rêve. Pas quelque chose qui impactait sa vie, pas quelque chose de réel. Elle doutait parfois de leur réalité. Dans sa tête, elle les appelait les souvenirs-rêves.

Une ou deux fois Tsunami se demanda si ces souvenirs-rêves n'auraient pas dû être plus forts, plus viscéraux. Mais peut-être que cette façon de se remémorer sa vie passée était un mécanisme de protection ? On aurait pu penser que les échos d'une vie d'adulte auraient été trop durs à encaisser et à comprendre pour un esprit de bébé à peine formé. Comment un esprit de quelques jours, quelques mois, ou même quelques années, aurait-il pu comprendre la mort, l'angoisse existentielle, ou simplement la rupture amoureuse, avec autant d'acuité que l'esprit d'une adulte de vingt-cinq ans ? Peut-être que c'était pour ça que tout semblait si ouaté, si délicat. C'était des souvenirs réels mais ils ne semblaient pas réels, parce qu'ils ne la prenaient pas aux tripes. Il n'y avait pas de violence dans le processus. Les traumatismes et les émotions attachées à sa vie passée semblaient avoir disparus à sa mort, comme effacées par sa renaissance dans un nouveau corps. On repartait de zéro. C'était comme de voir un film. Elle avait les informations, elle savait que telle et telle émotions étaient liés à telle ou telles situations, mais elle ne les ressentait pas. C'était difficile à expliquer. Tsunami se demandait si c'était parce que ces souvenirs passées avaient marqué sa mémoire passée, et que là, eh bien... C'était un nouveau cerveau, tout neuf, qui n'avait pas les mêmes connexions. On repartait de zéro, après tout. Nouveau corps, nouvel esprit, et donc nouveau cerveau.

Tsunami Uchiha : les origines حيث تعيش القصص. اكتشف الآن