-Hey, Santoni! L'interpellai-je d'une voix rauque, qui me laissait penser que, quelle qu'ait été la durée de ma perte de conscience, elle avait probablement durée plus de quelques jours. Réveille toi.

Aucune réponse autre que les graves vocalises de sa gorge. Je soupirai, avant de réessayer. 

-Santoni! Si tu veux piquer un somme, fais le ailleurs! Hey! HEY! 

Face au manque de réaction, je saisis mon oreiller avec grande difficulté et lui lançai à la figure - probablement pas la meilleure manière de réveiller quelqu'un, mais je n'avais rien d'autre à portée de main et n'avais pas réellement envie de retenter le diable en tentant de me déplacer. Mon action eut cependant le bon goût de porter ses fruits, puisque le corse ouvrit des yeux bouffis de fatigue, avant de s'étirer avec un bâillement à s'en décrocher la mâchoire. 

-Salut, Rosonn. Marmonna-t-il. Encore en vie? Tu as la peau plus dure que ce que j'imaginais. 

-Et tu as encore moins de manières que je l'avais supposé. Grognai-je en réponse. Dormir dans la chambre d'hôpital d'une femme seule et blessée? 

-Je suis parti du principe que tu préférerai sans doute être sous la surveillance de quelqu'un ne risquant pas sortir un flingue pour te tirer dessus à bout portant. Rétorqua-t-il.

Je ne pus répondre grand chose à cela. Mon corps était encore endolori, et mon esprit embrumé. J'avais la sensation de réfléchir au ralenti. 

-... Il a été arrêté? 

-Bien sûr, tu pensais quoi? Mais ta survie était moins évidente. 

-Tout ça tombe vraiment au pire moment. Grognai-je. Je dois aller assister à l'audience de Nokomis. 

Santoni se gratta l'arrière de la tête avec une expression un peu embarrassée, et mon sang ne fit qu'un tour. 

-Non... je n'ai pas été évanouie si longtemps tout de même?

-Deux bonnes semaines. Mais l'audience a été avancée, et comme ils ont été pris sur le fait... enfin, autant dire qu'il était peu probable que le procès s'éternise. Et vu l'impact qu'a eu ton petit discours au sein de la classe politique et du publique, j'imagine qu'ils ont voulu expédier le processus pour éviter trop d'attention de la part des médias. Le procès de tes agresseurs et du flics qui t'a tirée dessus ont bien plus attiré les caméras que celui de quelques suomen tentant de déterrer un cadavre. 

Je restai silencieuse. Je n'avais pas espéré pouvoir faire quoi que ce soit à l'audience de Nokomis. Après tout, je n'étais pas témoin, je n'avais pas le moindre poids dans l'exécution du processus judiciaire. Mais... j'aurai voulu y être. Ne serait-ce que pour la voir. Je m'étais renseignée, durant les quelques jours qui avaient séparé son arrestation de mon passage à la télévision, et il était souvent très difficile d'obtenir des visites avec les suomen condamnés de lemp'herta. Encore une trace de la profonde division et du genre de traitement que le gouvernement et la loi avaient de cette minorité. Ils espéraient sans doute qu'en séparant les coupables de déterrement du reste de leur communauté, ce genre de pratiques finirait par se résorber. Ma gorge était serrée. Mon discours avait eut un impact important, avait dit Santoni. C'était mon but depuis le départ. Mon objectif. J'avais accompli le but que je m'étais fixé, réalisé ma part de la promesse faite à Da-jee-ha, dans l'objectif d'obtenir le déterrage officiel du corps d'Hen'Ruay. Malgré les obstacles, malgré les personnes qui avaient tenté de nous arrêter, malgré mon reportage jeté à l'eau, malgré la disparition de Thomas, notre objectif avait été atteint. 

Alors, pourquoi me sentais-je aussi... vide? Pourquoi ne ressentais-je pas l'euphorie de la victoire, la joie de la réussite? Pourquoi seulement ce rien glacial qui m'emplissait, souligné par l'amertume du prix à payer pour cette victoire? Hen'Ruay n'était plus là pour la voir, et son corps était toujours profondément enterré. Nokomis avait été arrachée à sa liberté en tentant de l'en sauver, et ne pouvait fêter cette réussite avec moi, quand bien même elle aurait sans doute prétendu que j'avais eu beaucoup de chance. Et Thomas, celui qui avait travaillé le plus alors qu'il avait le moins de raisons de le faire, en avait été la victime collatérale. Où était-il? Était-il seulement encore en vie? Je l'espérai, je priai de tout mon cœur pour que ce soit le cas. Mais où qu'il soit, il n'était pas libre. 

SauvagesWhere stories live. Discover now