Chap. 15 : Fenêtre avec vue

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Une heure plus tard, j'étais arrivée chez ma grand-mère. Elle possédait une maison en bord de mer, dans le quartier de la Pointe Rouge. C'était l'une de ces villas cossues dont on franchit rarement le seuil, surtout quand on vient comme moi d'un milieu plutôt modeste.

Mais cette partie de ma famille avait fait fortune dans le raffinage du sucre de canne, revendant avantageusement l'affaire avant que le cours du sucre ne plonge l'industrie dans le désarroi. La maison se trouvait dans une impasse qui surplombait la mer. Grande bâtisse rouge brique, elle en imposait par ses trois étages, son toit exceptionnellement haut pour le quartier, et sa grande baie vitrée, qui donnait directement sur la Méditerranée. Le portail, à l'entrée, était flanqué de deux statues d'assez mauvais goût, façon Rome Antique, qui donnait à l'ensemble un air de vieille bourgeoisie.

Le bus m'avait déposée quelques rues plus loin. J'avais pris mon temps pour faire le trajet depuis la gare et je ne l'avais pas regretté. J'avais longé la fameuse Corniche et revu avec plaisir le Vallon des Auffes avec ses petits bateaux de pécheurs de toutes les couleurs, le quartier de Malmousque, sauvage et rocailleux, et, pour finir, les plages du Prado.

Ca faisait des années que je n'avais pas remis les pieds dans le Sud, mon travail m'avait trop accaparée, et ça avait d'ailleurs failli me perdre. Revenir à Marseille allait me rendre l'insouciance que j'avais perdue pendant ces trop longues années passées à Paris. Je l'espérais, du moins.

C'est un mec en short, tongs et débardeur (qui laissait voir vraiment trop de poils sous les aisselles) qui ouvrit la porte de l'immense maison, après que j'ai dû sonner au moins une bonne vingtaine de fois. Il portait des lunettes de soleil noires et ses cheveux couleur paille étaient attachés en queue de cheval. L'archétype du surfeur raté.

- Oui ? 

Sa voix était aussi lancinante que celle d'un fumeur de joints. Ses yeux rougis et son air un peu abruti me confortèrent dans cette opinion.

- Euh, je suis bien chez Gisèle ? Gisèle Lepant ?

- Oui, oui...

Il me fit un grand sourire et sans m'en demander plus, laissa la porte d'entrée grande ouverte avant de tourner les talons. Je le vis monter quatre à quatre les marches d'un escalier en bois, ce qui me fit penser qu'il n'était peut-être pas aussi drogué que je le croyais. 

J'entrai donc à sa suite, fermai moi-même la porte d'entrée, posai ma valise par terre, au pied de l'escalier et me dirigeai vers ce qui semblait être le salon, en face de moi.

C'était une pièce baignée de lumière et pour cause : elle était éclairée par la fameuse baie vitrée qui donnait sur la mer. La déco était un peu passée, on sentait qu'elle n'avait pas été remise au goût du jour depuis quelques années. Mais les solides meubles en bois, l'immense tapis de laine rouge et noir, très graphique, rendait la pièce plutôt chaleureuse. Au centre, un piano à queue trônait. Je m'en approchai et, comme il était ouvert, tentai d'y jouer quelques notes. Je n'y connaissais rien mais j'avais toujours rêvé d'être une pianiste accomplie.

- Tu joues un peu ? 

Je me retournai. Ma grand-mère me faisait face et souriait.

J.F cherche bonheur, désespérémentWhere stories live. Discover now