Chap.23 : La bagatelle

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J'ai fini par prendre une douche, savourant chaque jet d'eau brûlante giclant sur ma peau. Le savon au miel avec lequel je m'étais frottée le corps avait embaumé la salle de bains. J'en sortis plus en forme que je ne l'avais été ces derniers mois. Je ne sais pas si c'était l'air marin, le fait d'être revenue d'être dans cette maison que j'aimais tant ou la perspective de pouvoir enfin me confier à ma grand-mère... Je me surpris à sourire. Avais-je fait un premier pas vers le bonheur ?

Habillée d'une robe à fleurs, que j'avais beaucoup aimée et portée par le passé, mais qui flottait désormais un peu trop sur mes hanches maigrelettes, je descendis le lourd escalier de bois. Des rires fusaient depuis le salon où je trouvais Rico et ma grand-mère Gisèle en train de boire un thé. Ils étaient assis sur le large canapé de cuir qui trônait dans la pièce. Blanc et noir, il était le pendant parfait du piano à queue, qui se trouvait à quelques mètres de lui. On aurait dit des jumeaux aux caractères opposés : l'un en bois, lourd et massif, le second en cuir, moelleux et douillet. 

- Ah, tu es enfin là, viens t'assoir avec nous ma chérie ! 

Ma grand-mère attrapa la théière qui se trouvait sur la table basse en bois laqué, face à elle, et versa un liquide doré et fumant dans une tasse en porcelaine blanche, qu'elle me tendit.

- Savais-tu que les Touaregs boivent du thé brûlant pour équilibrer la température de leur corps dans le désert ? C'est pour ça que je bois toujours du thé l'été. Mais je dois dire que ça n'a jamais vraiment marché sur moi", s'exclama-t-elle en s'épongeant le front d'un mouchoir fin bordé de dentelle. "Rico, tu ne devais pas appeler Baptiste pour installer la clim dans le salon ? C'est un four, ici !

L'orage avait alors laissé place à un grand soleil, qui cognait sur la baie vitrée, transformant le salon en fournaise. Ma pauvre grand-mère tentait de garder sa dignité et son gilet sur les épaules malgré les 35 °C que devait faire la pièce. Quant à Rico, il laissait de grosses gouttes de sueur lui couler le long des tempes, les essuyant de temps en temps du revers du poignet.

-Alors ma chérie, raconte-moi tout, depuis le début ! 

Je lançai un regard à Rico. Il n'allait quand même pas rester là alors que je voulais confier mes malheurs à ma grand-mère ! Je me raclai la gorge en le regardant avec insistance, mais au lieu de se lever et de quitter la pièce comme toute personne civilisée, il commença à inspecter ses ongles, les curant négligemment quand le besoin s'en faisait ressentir. Dégoûtant.

Je décidai donc de me lancer dans le récit de mes tristes aventures parisiennes. Comment j'avais décroché un super job puis comment je m'étais laissée entraînée dans la course au succès sans me rendre compte que j'y laissais progressivement ma santé et ma joie de vivre. Enfin, j'en venais à ma rupture avec Miguel et à mon séjour à l'hôpital. 

-Et c'est là qu'elle a rencontré le Docteur Jonathan", déclara d'une voix morne Rico, qui, non content d'être resté, avait le culot de m'interrompre.

Je fulminai.

- Et qui est ce Docteur Jonathan, ma chérie ? 

- Oh, tout d'abord ce n'est pas le Docteur Jonathan, c'est le Docteur Rivière, Jonathan, c'est son prénom, figure-toi, Rico. Et ce n'est personne !

- Allons, allons, pas à moi, ma chérie, tu crois que je connais rien à la bagatelle ?

Ma grand-mère venait d'un autre siècle, comme lui reprocher de ne pas savoir qu'aujourd'hui on ne parlait plus comme dans les années 50 ?

 - Eh bien... C'est le médecin qui m'a remise sur pied, tu sais, à l'hôpital...

- Et ?

- Et...et il est en vacances à Marseille et il m'a invitée à aller lui rendre visite, dans sa maison, au Roucas Blanc.

- Il a une belle profession, tu devrais réfléchir avant de dire non !

- Mais je n'ai pas dit non !

Rico releva encore une fois ses yeux vers moi. Cettefois-ci, ils n'étaient plus empreints d'ironie, mais d'une tristesse inattendue.

- Je t'y conduirai en voiture, si tu veux, je connais bien le coin.

J.F cherche bonheur, désespérémentWhere stories live. Discover now