23 - Intrusion

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Pister Marine sur son trajet quotidien demande beaucoup de patience et d'énergie pour un résultat limité, la pharmacie en plein jour est une couverture grillée, son profil sur les réseaux sociaux ne présente qu'une devanture insipide. J'ai besoin de connaitre ses travers, car j'en suis sûre, elle en a.

Comme je m'en doutais, immeuble à interphone. La voisine du pallier face au sien a la bonne idée d'afficher son identité complète : DUBOIS Léontine. Ce qui nous renseigne sur deux choses : elle n'est pas toute jeunette et elle s'applique à bien renseigner le facteur. Une opportunité car j'ai un colis en main et je porte un blouson de Cédric, trop grand pour moi, mais qui simule à merveille les habits de sociétés prêtés aux filles qui font un boulot occupés par une majorité de mecs.

Je presse le bouton. Super ! Mamie Dubois décroche.

- Société Expédibook, j'ai un colis pour votre voisine, madame... Choiseul. Comme elle ne répond pas j'ai pensé que...

- Montez, me répond la voix suivie d'un grésillement encourageant.

Pas très méfiante mamie Léontine.

Le cœur battant, je monte les marches qui me séparent du quatrième. Marine aime voir le monde d'en haut, ce n'est pas une surprise. Une paire d'escarpins m'attend. Penchée contre la rampe d'escalier, leur propriétaire m'aborde :

- Elle a encore commandé des bouquins la voisine ? Trop sérieuse cette fille !

Si même cette bombasse au prénom désuet confirme, je me demande ce que je viens chercher d'intéressant.

- Filez-moi le colis, je le lui donnerai à son retour, je ne bouge pas.

Ce serait dommage d'avorter mon enquête si près du but, je tente mon discours maintes fois répété durant le trajet :

- Vous n'auriez pas ses clefs par hasard ? La personne qui lui fait ce cadeau tient à lui faire une véritable surprise. Je suis payée pour une mise en scène.

- Pour un bouquin ? s'étonne-t-elle. C'est quoi votre délire ?

- Expédibook fait dans l'évènementiel, vous ne connaissez pas ?

En général, cette remarque fonctionne très bien. Beaucoup de gens craignent d'afficher leur ignorance surtout devant un inconnu, alors ils feignent d'être informés.

- Chaque livraison est une fête ! J'ai là de quoi décorer son appartement.

- Je ne sais pas trop, se méfie la jeune femme. Ca m'ennuie de vous faire entrer.

Je n'en attendais pas moins. Marine n'est quand même pas assez bête pour confier ses clefs à une voisine qui s'en fiche.

- Je comprends. Dans ce cas, vous n'avez qu'à rester avec moi pendant que j'installe.

Je croise les doigts pour qu'elle décline l'invitation.

- Je n'ai pas trop le temps. J'ai ma manucure à faire. Oh et puis, prévenez-moi juste quand vous aurez terminé.

Je souffle pendant qu'elle déverrouille la porte puis tourne les talons.

Une montée d'adrénaline se déverse en moi en pénétrant l'antre tant convoitée de ma rivale. Comme prévu, j'installe le livre contre un chevalet. Tout autour je dresse un voile en tulle retenus par des pinces en forme de papillons, balance quelques confettis autour et agrémente le tout de pétales en tissus. Je jubile intérieurement, cette idée est de loin ma meilleure ! La mise en scène est carrément flippante quand on prend un peu de recul. Ca c'est pour avoir brisé le cœur de mon meilleur pote et hanté son esprit depuis trois ans, pas cher payé.

Il me reste du temps pour visiter l'appartement. La chambre, l'endroit le plus personnel est soigneusement rangé comme si elle attendait de la visite. Elle fait dans l'appartement témoin ou quoi ? J'inspecte le coin bureau puis le chevet à la recherche d'une preuve de ce qu'elle cache, comme un journal intime de célibataire. Ma quête ne se solde que par des bouquins presque aussi ennuyeux qu'elle et des classeurs de factures classées par dates. Je fais un crochet par la cuisine, passe les placards en revue : boulgour, quinoa, germes de soja et autres légumineuses quand chez nous pâtes et riz se partagent l'exclusivité. Le frigo est quasi vide à part des yaourts zéro pourcent. Elle est anorexique. Pas besoin de venir jusqu'ici pour s'en douter.

De retour dans le salon, je suis plutôt fière de l'effet que produit ma déco. Quand on rentre on ne voit que ça. Je suis résolument érigée au rang des psychopathes. Sur la table basse, un ordinateur portable attend d'être allumé. Je presse le bouton. Pas possible ! Cédric me contemple en fond d'écran. Encore une qui n'a pas tourné la page. Evidemment l'étape suivante nécessite un mot de passe.

Du seuil de la porte d'entrée me parvient le bruit d'une conversation, à l'affut, je prête l'oreille. Miss Léontine explique qu'elle a fait entrer quelqu'un. Si la propriétaire me choppe chez elle, ce n'est pas l'HP qui me guète mais carrément la police. Je saisis mon cabas et part me cacher derrière la première porte encore inconnue que je trouve. Un placard. Ouf ! Peu de chance, qu'elle l'inspecte en premier, en revanche, je suis prise au piège.

Je n'imaginais pas assister à la réaction de Marine découvrant mon œuvre.

- C'est un truc de dingue ! Le ton n'est guère admiratif, « dingue » dans sa bouche serait plutôt à prendre au premier degré.

Je me félicitais de ma trouvaille, je me sens devenir pathétique. Marine a ce don aussi.

- Elle était comment cette livreuse ? poursuit-elle.

- Pas trop fait attention. Genre masculine... pas très sexy en tout cas.

(Ca m'apprendra...)

- S'il te plait ne laisse plus entrer personne en mon absence. Avec tous ces malades qui trainent...

- Désolée, j'ai tourné le dos un instant... Tu vas appeler les keufs ?

Elle feuillette le livre que je lui ai choisi.

- Non. J'ai une idée de qui pourrait m'offrir « La femme parfaite est une connasse ».

Elle est intelligente et m'a grillée.

- Je vais régler cela autrement. T'inquiète pas. Rentre chez toi.

Bruit de porte qu'on referme. Marine pense-telle que je suis repartie ou compte-t-elle me garder captive jusqu'à ce que je sorte tenaillée par la faim et la soif ? J'aurais peine à m'assoir dans ce réduit, si je bouge je risque de faire tomber quelque chose. Comment aurais-je pu prévoir qu'elle regagne son domicile en plein après-midi ?

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireWhere stories live. Discover now