1-Prologue

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- Mais qui vit encore chez sa mère à trente ans ? A lancé sur un ton moqueur la pétasse attablée face à moi au restaurant du personnel.

Mon sang n'a fait qu'un tour et le contenu de mon verre aussi quand je le lui ai balancé à la figure.

- Moi. Et alors ? Ca te pose un problème ? Lui ai-je asséné froidement en guise d'explication à mon geste.

On ne se côtoie que depuis deux semaines, vu que j'ai intégré leur entreprise de communication. L'échange aurait pu en rester là sauf que la pétasse arrosée se trouve être la responsable des ressources humaines. A 18h, le directeur m'annonçait dans son bureau qu'il mettait un terme à ma période d'essai. Je n'ai pas demandé d'explications, je les connais déjà et je n'en suis pas très fière.

Je n'aurais pas du prendre autant à cœur cette réflexion, après tout je n'ai que vingt-sept ans. Le canapé dans lequel je m'écroule ce soir est celui de Cédric, mon meilleur pote. J'y dors aussi parfois, de plus en plus souvent pour oublier que mon adresse officielle est le logement HLM de ma mère. Je n'ai bien sûr pas de quoi payer le loyer, mais il ne me demande rien.

Cédric est intérimaire dans le bâtiment. Quand il est décidé à travailler, il s'y consacre presque jour et nuit. Ensuite, il claque tout l'argent en soirées. Une fois à sec, il reprend le travail. Il m'a fait découvrir la bière belge dont un pote routier l'approvisionne et les chaines du câble. L'autre jour devant un épisode, il m'a dit sérieusement : « je veux devenir profiler, plus tard ». Sauf qu'à vingt huit ans, c'est maintenant ou jamais. Ce n'est pas mon petit ami. La première fois qu'il m'a proposé de rester dormir, j'ai cru à un plan drague maladroit, mais le regard désarmant, il a ajouté : « en tout bien, tout honneur ». Après deux ans à liquider des pizzas sur son canapé dans le brouhaha des histoires de gonzesses et des blagues graveleuses de ses potes, je ne crois plus trop en ma féminité. Quand on est seuls tous les deux, c'est un peu pareil.

Il reste nostalgique de sa relation avec Marine. Une snobe qui gère une pharmacie en centre-ville. On s'est connu au camping des Pins maritimes, cadre de nos vacances trois étés d'affilée. Marine n'a jamais cédé un peu de simplicité à ses origines bourgeoises. Je pense que ce qui l'a attirée chez Cédric relève du frisson de s'accoquiner avec un garçon socialement très différent d'elle. Leur relation n'a pas duré longtemps, juste assez toutefois pour qu'il l'idéalise depuis qu'elle l'a quitté. J'évite le sujet avec lui car il devient vite intarissable.

Entre elle et moi, le courant n'est jamais trop passé. Son penchant à considérer les gens comme ses employés et son amabilité forcée m'insupportent. C'est la guerre froide en quelque sorte. J'évite sa pharmacie, elle ne rôde jamais du côté des bars que Cédric et moi fréquentons. On pourrait en rester là sauf qu'elle apprécie mon demi-frère, Kévin, qui appartient à son univers social et intellectuel.

Kévin, c'est un peu le contraire de moi. Il a toujours envisagé de devenir avocat. Passionné de mécanique et doté d'une prestance naturelle, il a travaillé chez un concessionnaire pour financer ses études. Aujourd'hui il partage un cabinet avec deux autres robes noires et un pavillon avec femme et enfant. Il s'est bien sûr échiné à me trouver une formation ou un job correct. J'ai ainsi été secrétaire dans son cabinet. Après trois semaines de gaffes cumulées et devant l'insistance de ses associés, il a fini par embaucher une remplaçante plus compétente. Combien de soupirs exaspérés ou de mines graves m'annonçant que le patron m'attend dans son bureau, ont rythmé mes expériences avec le travail ? J'en arriverais presque à me considérer comme une looseuse.

Concernant les relations amoureuses, c'est un peu l'interminable quête aussi. Je ne blâme pas Cédric de son obsession à sens unique pour son glaçon car moi aussi je vis une histoire d'amour impossible.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireWhere stories live. Discover now