8 - L'avertissement

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La sonnerie de la porte d'entrée me tire du sommeil. On est dimanche matin et j'ai mal au crâne. Cédric dort encore : aucun filet de lumière ne filtre sous sa porte. Je replie un peu la couette sur le canapé avant d'ouvrir sur Kévin, fringant dans un nouveau costume. En comparaison, je porte un pyjama qui ne me met pas à mon avantage. Il jette un regard réprobateur sur la table du salon couverte de bouteilles vides et de cendriers pleins. Je me prépare aux reproches habituels, mais il part sur un autre terrain.

- Marine m'a dit que tu la suivais depuis quelques jours.

- Elle s'en est rendu compte ? Dis-je étonnée.

- C'est tout ce que tu trouves à dire ? Tu te doutes qu'elle n'apprécie pas d'être espionnée par son ex et la copine de celui-ci.

- Je ne suis pas la copine de Cédric !

- Ce n'est pas ce que tu lui as raconté à la pharmacie. Peu importe. A ta place, je me ferais oublier un moment. Elle voulait connaitre ses recours si ça continuait.

- Et elle te demande ça à toi ! Tu vas la conseiller et me planter un couteau dans le dos ?

- Elle m'a demandé de te convaincre d'arrêter. Elle ne cherche pas la guerre.

- Vas-y, trouve-lui des excuses... 

Ma mauvaise foi ne marche pas avec lui :

- Dis-moi pourquoi tu la suis.

- Elle a quelqu'un dans sa vie.

- Tu me l'apprends. Mais qu'est-ce que ça change ? Tu n'es même pas son amie, laisse-la tranquille. Elle a droit à une vie privée. Mets-toi à sa place.

- Ca non, j'ai pas envie d'y être. Elle est amoureuse d'un type qui se fout complètement d'elle et la ridiculise devant ses clients. Tout cela parce qu'il la bluffe avec un dîner dans un trois étoiles... Je suis sûre qu'il le passe en note de frais.

Il pénètre un peu plus dans l'appartement et se dirige vers la cuisine, un peu comme s'il était chez lui.

- Je peux savoir pourquoi tu t'intéresses à elle tout d'un coup ? Demande mon demi-frère.

- Je l'ai toujours cru incapable d'aimer quelqu'un. En la voyant avec Raphaël, j'ai compris que je m'étais peut-être trompée. Je voulais savoir. Elle a fait un très mauvais choix.

- Parce que t'en sais quelque chose, toi, des histoires d'amour qui marchent ?

- T'es blessant.

Je lui tourne le dos pour mettre la cafetière en marche. Sa remarque bien que réaliste me fait l'effet d'une gifle.

- Oublie ça. Il balaie le sujet Marine d'un geste de la main. Je pourrais te présenter certains de mes collaborateurs. Aller, c'est quoi ton style ?

Cette fois, c'en est trop.

- L'homme que j'aime est déjà marié.

- Encore une nouvelle lubie...

Il prend un tabouret et s'accoude au bar près de moi, un sourire amusé sur les lèvres. Nerveuse, j'allume une cigarette.

- Non, je l'aime depuis des années.

- En plus ! C'est qui ? Il est marié, lui ? Il désigne la porte de chambre de Cédric.

En guise de réponse, je lui colle le plateau en inox devant le visage, il s'étonne une seconde devant son reflet.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Me demande t-il, surpris.

- T'as pas compris ?

- Je croyais que tu avais tourné la page depuis le temps, dit-il, franchement embarrassé.

- Ben non.

J'expire un halo de fumée entre nous. Il me sonde d'un regard naïf et pénétrant, un regard émeraude, de forêt tropicale après la pluie. J'ai envie de l'embrasser, de lui dire qu'on se plait depuis le premier jour. Mais bon, je ne suis pas trop sûre de mon haleine au réveil : après toutes les cigarettes de la veille, j'ai peur de le dégoûter, alors faute de mieux, je riposte.

- Tu veux que je me trouve un boulot, un mec, et puis quoi encore ?

- Ne te fâche pas. Viens par là. Il m'attire contre lui et me sert très affectueusement.

- Evite ce genre de déclaration, ça me met mal à l'aise. T'es ma petite sœur depuis quinze ans.

Honnêtement, je ne sais pas lequel des deux s'arrange pour mettre l'autre mal à l'aise : moi qui lui déclare ma flamme ou lui qui m'enlace en ce moment ? J'ai le nez collé contre ses pectoraux. Il m'écarte d'un coup.

- Je dois rentrer, j'ai promis à Béné, qu'on irait déjeuner chez sa mère. Sinon, t'as besoin d'argent ?

Je retrouve mes esprit et aussitôt ma hargne de femme écorchée.

- Qu'est-ce qu'elle en pense Béné, de tout cet argent que tu me donnes ? Tu lui caches ?

- Oui. Par discrétion vis-à-vis de toi.

J'ai compris : il m'entretient, moins par sens du devoir que pour se défaire de sa culpabilité. Il a connu une enfance au sein d'une famille unie, il a fondé une famille à son tour et il a réussi dans son boulot. Pas moi. Pour en rajouter, je l'aime plus qu'il ne peut donner en retour.

- On s'appelle, dit-il en me caressant la joue. Il s'éloigne dans le couloir.

La prochaine fois que la sonnette me réveille, je me lave les dents avant d'aller ouvrir...

Peut-être lit-il dans mes pensées ? Le voilà qui fait demi-tour.

- Et arrange-toi pour enlever cette couleur de tes cheveux, c'est vulgaire.

J'avise mes pointes oranges délavées : et alors ?

Je me sens à la fois soulagée de lui avoir avoué mes sentiments et lessivée. Discuter avec Kévin s'apparente à une confrontation. Même si c'est pratiquement toujours lui qui en sort vainqueur, j'ai cette fois la satisfaction d'avoir tout donné. Par contre, j'ai toujours aussi mal à la tête. Je me recouche en imaginant Kévin coincé entre femme pulpeuse, belle-mère attentionné et môme joyeuse. Les larmes coulent et viennent imprégner l'oreiller.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireWhere stories live. Discover now