13 - Infiltrée

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Je ne suis pas pressée de rentrer chez Cédric, j'ai honte de mon attitude autant que je lui en veux. En fait, avant de lui demander des explications, je préfèrerais vérifier ce qui se trame entre Marine et lui. Plus encore qu'avant, j'espère la choper en compagnie de Raphaël.

Pour me rencarder discrètement à la pharmacie, j'ai besoin d'une couverture. Une idée m'effleure : Mme Michaud, la voisine septuagénaire de Cédric me raconte invariablement ses problèmes de vessie sur le pallier. Chaque jeudi, elle se rend à la pharmacie de « la petite jeune fille blonde bien mignonne » (tu parles !) d'où elle ramène un sac plein de sa participation à creuser le trou de la sécu. Je pourrais lui proposer de l'accompagner sous couvert d'un déguisement. Mme Michaud qui n'y voit pas clair ne s'en rendra pas compte.

Aux antipodes de mon style habituel (treillis, baskets et cheveux attachés à la va-vite), il y a Bénédicte. Je profite que Kévin soit au boulot (il soupçonnerait encore un coup fumeux), pour lui demander de me prêter des fringues pour une soirée. Vestige du siècle dernier, Béné porte encore un percing à la narine. Ma généreuse belle-sœur, moulée dans un tee-shirt pigeonnant à la limite de la rupture m'ouvre les portes de son dressing.

Le look de Béné est à la sobriété ce que les cacahouètes sont à la diététique. Je m'attendais à du kitch mais c'est la consternation. Devant nous, une panoplie de fanfreluches, hybride entre Alice au pays des merveilles et la place Pigalle. Elle me tend une jupe (que j'avais d'abord prise pour une ceinture) et un haut assorti. Sur Béné, c'est trash mais habituel. Sur moi, je n'ose imaginer ce que ça peut donner. En moins de temps, qu'il ne faut pour le dire, elle m'aide à retirer mes habits et m'enfile les siens. L'image que me renvoie la psyché me rappelle étrangement les représentations de filles sexy, peintes sur les manèges de fêtes foraines. Il me semble humer la barbapapa et les chichis. Elle me tend une paire d'escarpins à plate-forme, le talon est démesuré et un poisson flotte à l'intérieur dans une mer à paillettes.

- « Ceux-là, par contre, tu me les rends. J'y tiens.

- Tu peux compter sur moi, dis-je convaincue. T'as pas une perruque ?

- Pour qui tu me prends ? S'offusque-t-elle.

Devant mon insistance, elle accepte de m'appliquer la couleur que je lui ramène de la supérette voisine. J'ai toujours eu envie de mèches auburn.

trente minutes plus tard, sur mon châtain ça donne... rouge. Je retiens un « ho, putain ! »

- C'est très tendance, m'assure Béné.

- Si tu le dis... .

Je quitte son domicile avec au bras un sac contenant mes vêtements normaux et l'envie de presser le pas avant qu'un type me demande mes tarifs.

Mme Michaud et moi pénétrons dans la pharmacie Choiseul. Je me cache derrière des lunettes noires. Pourtant, notre entrée ne passe pas inaperçue. Les clients se retournent, la préparatrice suspend son encaissement : un moment de silence s'installe, sauf pour Marine. Marine est au téléphone visiblement très absorbée par la conversation. Quelque chose me dit qu'à son (exceptionnel) sourire, elle est en ligne avec le délégué Cosmens. Elle n'a remarqué ni ma présence, ni le silence qui s'en suit. Elle poursuit sa conversation à voie haute :

- Mais si tu sais, le cinquième gratuit, ça marche aussi sur les lots... Oh ! T'es vexé, là !.. T'étais moins sûre de toi, tout de suite.

Il doit la rembarrer car son visage ce durcit et le ton devient cassant :

- Oui, c'est ça ! Je te laisse. Travaille bien !

Elle repose le combiné, visiblement vexée qu'il n'ait pas apprécié sa blague. Ils se taquinent ? C'est très bon signe...

La préparatrice est efficace, elle tend à Mme Michaud son sac hebdomadaire avec le sourire qu'on réserve aux très bons clients, ceux qui font vivre une officine. Mon inculture concernant les dépenses de santé m'interdit de comprendre comment peut fonctionner un système dans lequel on scie chaque jour un peu plus la branche sur laquelle on est assis.

Je suis plongée dans cette réflexion quand mon portable se met à vibrer et m'interpelle sur une musique de fin de boîte par un « Sofia, Sofia ! Décroche, c'est ton boss ! » (Une sonnerie que les potes de Cédric m'ont téléchargé un soir). Je presse immédiatement Mme Michaud de quitter la pharmacie. Marine détache son intérêt du combiné raccroché en notre faveur, les sourcils froncés, l'air soupçonneux. Mon talon se dérobe sous mon pied et je dérape sur le sol immaculé, je me retiens à un présentoir qui sous la secousse éjecte une partie de ses brosses à dents. Marine s'approche, cette fois, elle m'a reconnue. Sans demander mon reste, je pousse ma malade à la vessie capricieuse de l'autre côté des portes vitrées. Pourvu que Marine n'appelle pas mon frère pour le convaincre de me faire interner !

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireOnde histórias criam vida. Descubra agora