17 - Burn-out

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Le lendemain à 8h tapantes, Guibert s'impatiente devant mon bureau. Il aurait voulu le compte-rendu certes rédigé mais aussi imprimé. Il le récupère lui-même à la sortie de l'imprimante et va se réfugier dans son bureau, claquant la porte en guise de remerciement. Ce type est détestable. Kévin passe à son tour devant l'accueil et m'adresse un bonjour si emprunt de gentillesse que je me mords l'intérieur de la bouche pour éviter de dériver dans un nouveau fantasme. Les bureaux austères, les costumes-cravate et les tailleurs stricts ont le don de m'inspirer en ce moment. La besogne qui m'attend : vingt mails en retard à l'ouverture du cabinet, me rattache à la réalité comme l'amarrage retient un bateau à quai.

10h30. Ce n'est pas Guibert qui m'appelle sur la ligne interne mais Do Sacramento, lui-même. Do Sacramento est une sorte de vieux-beau qui a dû connaître une flopée de femmes dans sa vie. Il est proche de la retraite mais s'abroge toujours les meilleures affaires du cabinet. Il a un charme paternaliste mais je me méfie de son apparente clémence. D'après les bruits de couloir (de devant mon bureau au standard), c'est un requin. Autoritaire et exigent, à l'ouverture du cabinet, il a remis Kévin en boîte, en ma présence, pour un dossier qu'il voulait étudier et que Kévin avait laissé chez lui. J'en étais mal pour lui.

- Mademoiselle Capriaglini, je viens d'avoir l'entreprise Heubert et Charin en ligne. Ils n'ont pas reçu le rapport que je vous ai demandé de leur envoyer lundi. Vous pouvez m'éclairer ?

- Je l'ai pourtant faxé en matinée...

A moins que ce ne soit l'après-midi. En fait, j'ai voulu le faire avant la pause déjeuner mais c'est le moment qu'à choisi Guilbert pour me demander d'acheminer un mail urgent. Un feuilletage rapide de la pile de documents qui encombre le côté droit de mon bureau confirme mon dérangeant souvenir.

- Je vous prie d'excuser mon retard. Je l'adresse de suite.

- Ce n'est plus la peine. Ils ont pris contact avec un autre cabinet qui a sans doute une secrétaire plus réactive que vous.

Il raccroche. Je suis dépitée. La période d'essai de mon contrat est fixée à dix jours. Deux semaines pendant lesquelles il ne suffit pas de collecter les bons points pour être gardée. Inversement, on part avec un quota de points que chaque bévue nous grignote, nous rapprochant à mesure de la sortie. Cette dernière étourderie risque de me couter cher. Avec une énergie désespérée, je me replonge dans le traitement des mails. C'est à appréhender de partir en pause tant ils s'accumulent, rendant le retour au poste d'autant plus pénible. Comment Anita fait-elle pour supporter ce rythme ? Grossesse = nausées = passages aux toilettes = dix mails de plus au retour du lavabo.

On est mercredi soir et je suis fourbue par cette journée de course contre la montre. Le vendredi soir apparaît encore comme une promesse improbable tant la charge de travail qui m'en sépare reste dense. J'ai le dos meurtri et même le fauteuil que Kévin me cède quand il part au tribunal, ne parvient pas à soulager mes courbatures. En fait, c'est d'un massage de Kévin dont j'aurais besoin, non plutôt de Cédric.

Sauf que Cédric et moi, nous contentons de nous croiser. Je rentre tard, il part tôt. J'ai dû mettre un terme aux visites de nos potes car j'avais besoin de repos. Il comprend mais apprécie moyennement la situation. Mon absence de travail ne l'a jamais gênée, mon surcroît de fatigue l'incommode bien d'avantage.

Ce soir, il travaille. La solitude de l'appart est propice à dresser un bilan de ma vie : je n'ai toujours pas de logement fixe et les relations amoureuses ne sont décidemment pas pour moi. Il est 23 heures, Kévin doit dormir. On dort forcément mieux quand on a la sécurité financière et affective. Assise sur le bord du lit, je déprime. Un rhume me cherche. Je décide de le soigner de manière radicale. Les deux ou trois verres de gin me donnent l'envie de prendre ma vie en main. Tout de suite. J'allume le PC et commence à prospecter au hasard, les sites de rencontres. Je me ressers un verre. J'ai une meilleure idée : je vais demander une augmentation à Do Sacramento. Bon, ça ne fait que trois jours que je suis employée. Et alors ? Il appréciera mon audace. J'en ris d'avance. Après avoir envoyé mon mail à son destinataire, je m'endors dans l'euphorie.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireWhere stories live. Discover now