27 - Croc'burger

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Il est midi. Mon rendez-vous de 13h nécessite de traverser la ville, ce qui me laisse peu de temps pour déjeuner. Dehors, il fait gris, il brouillasse et un vent cinglant secoue les arbres chétifs du Croc Burger. Trop de queue au drive. J'aperçois une place libre sur le parking. Je vais pour m'engager quand une voiturette sans permis qui arrive à contresens me grille la politesse. J'ouvre la vitre.

- Madame s'il vous plait, laissez-moi la place...

- Pas question, me réplique une femme corpulente portant un foulard pour cacher ses bigoudis. J'étais là avant vous.

- Vous pouvez trouver une autre place, moi avec le monospace, je n'ai pas le choix.

- C'est votre problème, pas le mien, lance-t-elle revêche.

Mon regard glisse déjà vers les véhicules alentours, à la recherche d'une solution. Gaétan qui fait la queue au drive observe la scène amusé. Il descend sa vitre et m'interpelle :

- Tu cherches une place ?

- Je reprends dans une heure et tout est complet.

- Faites un effort, madame, apostrophe-t-il l'automobiliste opportuniste, elle travaille ma copine.

- C'est vos histoires. Laissez-moi tranquille.

Il descend de sa camionnette et s'approche d'elle.

- Aller, Madame. Je vous fais un strip-tease si vous lui laissez votre place.

- Mais c'est quoi ça ?

Il retire alors son blouson de la société, le pull camionneur. Il est en tee-shirt, la température flirte avec les cinq degrés dehors. Dans la file d'attente du drive, les véhicules klaxonnent. Indifférent, il continue. Il s'allonge torse-nu sur le pare-brise de la voiturette et mime des postures très sensuelles. Honteuse d'être devenu l'attraction du parking, la conductrice remonte en voiture et enclenche la marche arrière.

Je me gare à sa place et on se tape dans les mains. Il me sauve la mise. Sur le moment toute la rancœur contre lui s'est évaporée. Sur le parking, des gens sifflent et applaudissent. A l'intérieur des mères de familles, le visage collé aux vitres profitent du spectacle. Il enfile son blouson à même la peau et remonte dans sa camionnette comme je me précipite vers le restaurant.

Cet après-midi, je retourne à l'agence. Pas de gaîté de cœur, et surtout aucune envie de me faire à nouveau invectiver par ma chef. Si je n'ai pas visité encore trois pharmacies avant ce soir, elle va me tomber dessus. Seulement, les RH m'appellent quatre à cinq fois par jour et saturent ma messagerie pour me dire de passer signer mes contrats. On ne doit pas avoir la même conception de l'urgence dans les bureaux.

Je me dirige vers Christelle à l'accueil. Elle sourit en me voyant mais parait aussi embarrassée. En plus, d'être efficace et sympa, cette fille ne sait pas mentir. Qu'est-ce qui m'attend encore ? Un groupe de femmes discutent un gobelet fumant à la main. J'en reconnais une qui était déjà là l'autre jour. Elle s'approche de moi cette fois.

- C'est toi Sofia Capriaglini ?

- Oui, pourquoi ?

- Je suis Sandrine, secteur Nord et voici, Carine secteur Est et Maïka secteur Sud.

Très bien. A nous quatre nous sommes les représentantes du territoire. Pourtant quelque chose me donne à penser que je ne suis pas la bienvenue parmi elles.

- Avant ton arrivée, j'étais sur L'Ouest. Hier, je suis passée voir la pharmacie Legast que je connais très bien. On est quand même choqué par ta façon de travailler. Ce n'est pas du tout comme ça qu'on procède dans l'entreprise. Tu prends ton travail par-dessus la jambe on dirait...

Les deux autres femmes grimacent et roulent des yeux.

- ... Mme Bernard est une de nos plus fidèles dépositaires, il ne faudrait pas la perdre.

- J'aimerais savoir ce que tu me reproches.

- Ne me prends pas de haut comme ça !

- Et bien si tu as quelque chose à me dire, on se prend un bureau et on en discute ailleurs que dans le hall.

Prise à son propre jeu, Sandrine n'a trouvé d'autre parade que de me suivre. Séparés de ses complices, ses explications étaient confuses et imprécises pour déboucher sur le fait que je ne faisais pas un compte-rendu systématique à Mme Richemont de mes visites.

Comme prévu, j'ai visité ma troisième pharmacie de l'après-midi et bouclé le compte-rendu avec force précisions comme un pied de nez à ces faux-culs.

Avec tout ça, j'en ai presque oublié le dîner qui m'attend ce soir. J'ai juste le temps de passer chez Cédric prendre une douche. Sur la table, il a laissé un mot disant qu'il nous rejoignait pour le dessert. Mon plus fidèle allié qui me lâche.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireWhere stories live. Discover now