24 - La tournée

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Cette fois encore j'ai accepté de me vendre pour que Kévin me lâche avec ses sempiternelles « T'as pas de boulot ». Et voilà que je commence aujourd'hui. Monospace de fonction avec autoradio Bluetooth. Dix heures. J'ai déjà déposé de la documentation dans deux officines qui étaient sur ma route. J'ai même des cartes de visites à mon nom !

Il s'agit maintenant de rencontrer le pharmacien de Gigon-Sur-Lotte. Tant que ce n'est pas Marine que je dois démarcher... C'est où ce bled ? Certainement un peu snob, le GPS ne trouve pas, lui non plus.

Il faut que je m'arrête pour faire pipi. Comme je n'arrivais pas à m'endormir hier soir, ce matin j'ai du ingurgiter un litre de café pour émerger de la brume. Routes départementales traversant des champs, maïs ensilé, arbres dépouillés. C'est sympa la campagne en décembre !

Ce n'est pas uniquement l'appréhension de commencer un nouveau taff qui me gardait éveillée, mais plutôt une vraie trouille, celle de recevoir la visite de policiers suite à mon intrusion dans l'appart de Marine.

Ce jour-là, elle a du vraiment croire que j'avais quitté les lieux après mon forfait. Sans inspecter les pièces, elle s'est tranquillement mise à cuisiner, accompagnée par la musique sur son Smartphone. Après pas loin de deux heures, engourdie entre balais et aspirateur, j'en ai profité pour filer en douce. Presque trop facile. Il ne fait pas de doute qu'elle a compris que j'étais la livreuse.

Depuis, pire que si elle m'avait chopée et hurlé dessus, je sursaute au moindre appel. Pire que la police, se pourrait être Kévin qui déboule à ma porte. Avec lui, je ne suis que la sœur incapable de garder un boulot ou un petit ami. Une tare familiale avec des cheveux rouges, des règles cataclysmiques, empestant le tabac, avec un penchant pour l'alcool. Si on me rajoute une violation de domicile, il va me renier définitivement et maudire un peu plus son père d'avoir été infidèle. Il pourrait même donner raison à sa mère qui me déteste.

- Epargnez-moi ça ! Prié-je, en pressant le Saint-Christophe sur mon trousseau de clefs perso.

En passant à St Michel-Les Palmiers, je repère les WC publics. Quel soulagement ! Le seul exotisme de la commune est d'avoir des toilettes à la Turc. Dans une période délicate comme celle que je traverse, on se dit parfois que la situation ne peut plus empirer. On se trompe. Comme je baisse mon pantalon, j'entends un cling inquiétant. Un coup d'œil vers le trou confirme mon appréhension : la carte de démarrage de la voiture vient d'échouer à l'intérieur...

Pharmacie Dubuissière. J'y suis. Rue bondée en ce jour de marché. Aucune place libre. Je peux toujours stationner devant la pharmacie mais la camionnette de livraison qui me précède a eu la même idée. Je me poste derrière. Une file de véhicules s'installe à notre suite. Concert de klaxon. Et le fourgon qui ne décolle pas. De dos, j'aperçois le livreur en uniforme qui tient le crachoir à une préparatrice. J'arrête le moteur et m'élance vers le commerce en dépit des protestations. Quelques gouttes de pluie tombent.

- Monsieur ! Vous en avez pour longtemps ?

Le livreur se retourne avec une nonchalance qui m'est vaguement familière.

- Gaétan !

- Salut ma belle. Tu cherches à te garer ?

Gaétan est mon ex petit ami. Après une histoire de deux ans, un jour il n'a plus donné de nouvelles. Avec Cédric on a alors décidé un soir, de lui rendre une visite à l'improviste chez lui. Dissimulés dans la cage d'escalier, on est resté juste assez pour le voir embrasser une autre fille sur le pas de sa porte. C'était notre première filature. Depuis, je me suis ingénié à éviter de croiser sa route. De peur de ce que j'aurais pu lui faire sans doute.

Il revient tranquillement déplacer sa camionnette. Aux invectives qui fusent derrière nous, il se contente de répondre d'un geste sympa de la main. Par la vitre ouverte (mais pourquoi l'ai-je suivi ?), il me tend la carte de sa société avec son téléphone griffonné au dos.

- Qui te dit que j'ai envie de te revoir ?

- Dès que je te frôle, tu frémis...

- Prétentieux !

Je ne trouve rien de mieux à dire sur le coup. Il a déjà démarré, me laissant seule au milieu de la ruelle à la merci d'une horde d'automobilistes frustrés et prêts à écraser l'accélérateur.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireDonde viven las historias. Descúbrelo ahora