35 - Révélations

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          Kévin estime que j'ai les capacités pour le poste d'assistante juridique mais je sais qu'il va me falloir redoubler d'effort pour être à la hauteur de la tâche. Kévin m'explique plus en détail les rouages du travail. Il est avocat en droit des personnes, ses deux associés sont avocats d'affaires. En gros, il gère les litiges entre particuliers, les divorces, les gardes d'enfants. Les autres avocats qui m'avaient fait passer le premier entretien appartiennent à un cabinet associé avec lesquels il y a beaucoup d'échange.

Ce temps passé avec moi, lui fait bien évidemment prendre du retard sur ses propres dossiers. Il reste plus tard au cabinet pour avancer. Je m'applique à tout intégrer pour ne pas le décevoir.

On est jeudi soir, il jette un œil sur la pile de dossier apparue l'espace d'une journée sur son bureau et décide que ce soir, ils attendront. Nous voilà partis pour une balade autour de l'étang qui borde la nationale. La lumière décline autour de nous, dissimulant les limites de l'étendue placide.

- C'est ici que Fiona a été faite.

Je suis surprise par cette révélation. Je souris intriguée pour l'inviter à continuer.

- J'avais proposé à Béné de faire un tour à la sortie de son travail, poursuit-il. Elle a trouvé une photo dans la boite à gants, de nous deux l'été d'avant. Je lui ai proposé de la garder. Elle en a déduit que cela n'avait pas d'importance pour moi. Elle a commencé à pleurer puis s'est enfuit en courant. Il pleuvait des cordes. Je l'ai rattrapée et obligée à rentrer dans la voiture pour ôter ses vêtements trempés... Tu devines la suite... C'était notre première fois, et la bonne.

Je l'écoute me révéler cet épisode très personnel. Il est habituellement si discret sur sa vie privée que je savoure sa confidence avec un mélange d'étonnement et de fierté. A ma grande surprise, il change de sujet :

- T'as de la beu sur toi ?

- Hein ?

- On a eu une semaine chargée tous les deux. J'ai besoin d'évacuer la pression. Tu n'es pas d'accord ?

- Si mais... Ben, pas ici.

Il a presque l'air déçu.

On se retrouve donc dans le T2 de Cédric qui finit à vingt heures ce soir. La situation me semble complètement improbable : je suis entrain de rouler un joint pour mon frère et à sa demande en plus ! Je dois rêver ! La suite est encore plus édifiante.

- Je me suis souvent demandé ce que notre vie aurait été si on n'avait pas su qu'on avait le même père...

C'est bien la première fois qu'il aborde le sujet.

- ... Tu te rappelles derrière le garage à vélo. On devait avoir douze, treize ans. T'es la première fille que j'ai embrassée.

Je lui tends le joint. Qu'est-ce que ça va être quand il aura tiré dessus ?

- Je t'ai touché la poitrine. C'était un peu maladroit.

Je perçois une petite excitation dans sa voix. Jusqu'où va-t-il aller ? Il ne m'a pas habitué à ce genre de confession. Un peu mal à l'aise, un léger tremblement me gagne. Je tire une grosse taffe espérant dissimuler ma gêne. Des années que je retourne le sujet dans ma tête, que je me demande comment l'aborder avec lui. Et là, il m'apporte la solution sur un plateau. Je ne peux quand même pas l'interrompre.

- Le plus fort, tu vas trouver ça bête, dit-il en fixant le bout de ses chaussures, c'est à l'enterrement de papa. T'étais avec ta mère un peu à l'écart. Je n'avais pas envie de vous voir isolées. Je t'ai fait la bise sur le front, poursuit-il en se rapprochant de moi sur le canapé. J'ai senti qu'il se passait quelque chose d'inhabituel, un peu comme une décharge électrique. Je n'ose pas te demander si t'as ressenti la même chose. Si tu me dis non, c'est que je me suis fait un film. Mais si tu me dis oui, je crois que je vais flipper.

J'appréhende sa réaction si je lui avoue la vérité. Le moment n'a jamais été aussi propice. Mais l'instant est fugace, mon demi-frère oublie sa question et s'affale contre le dosseret du canapé.

- J'ai chaud, putain !

Il s'acharne d'une main sur son nœud de cravate pour le desserrer. Il n'y parvient pas mais a défait tous les boutons de sa chemise jusqu'à la ceinture. Sa peau est toujours aussi sombre même en hiver. Je n'ose pas laisser mes yeux s'attarder sur son torse.

- C'est parce que t'as pas l'habitude.

- Parce que t'es habituée, toi ? Tu m'inquiète, là... .

Trop tard, il est redevenu le grand frère surprotecteur qu'il est depuis des années, celui qui m'insupporte autant qu'il me sécurise.

- Je ne fume pas tous les soirs, non plus ! Ca va, hein !

- T'es heureuse en ce moment ?

J'acquiesce en hochant la tête.

- Te fatigues pas, j'ai compris que c'était sérieux avec Cédric.

- Alors ?

- Ben alors, rien. T'as le droit.

- C'est un de tes potes...

- C'est toujours mieux qu'un ennemi. Pourtant, j'ai un peu de mal à comprendre. Tu squattes son canapé depuis des années. Il ne se passe rien. Vous fliquez son ex et là, c'est le coup de foudre.

Je m'amuse de ce résumé.

- Je crois que j'ai muri. Avec lui, j'ai enfin réalisé que toi et moi, c'était impossible.

Je suis penchée en avant. Il est un peu en retrait, toujours adossé au canapé. Ne pas croiser mon regard rend ma confession plus facile. C'est un peu comme préparer une scène et la jouer à son propre reflet. Le trac est moindre que face à la personne. J'ai pourtant son genou à quelques centimètres de ma cuisse. Je me sentirais tellement soulagée si...

- J'ai eu une sorte d'orgasme dans le cimetière.

Ca y est, je lui ai avoué. J'attends sa réaction sans oser me retourner. Les minutes s'écoulent. Mon malaise grandit.

Je tente un regard par-dessus mon épaule. Non ! Il dort ! Rassurée et déçue à la fois, je vais chercher un plaid pour le couvrir et envoie un SMS à Béné pour la prévenir.

L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireWhere stories live. Discover now