15 - La réunion

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Le SMS reçu à la pharmacie était de Kévin : ses collaborateurs ont pris leur décision, je suis embauchée à l'essai. Je me rends donc chez Bénédicte afin de lui rendre ses affaires. Elle propose de me prêter un chemisier pour accompagner la tenue de working-girl qu'il me faudra revêtir lundi. Sur moi, le chemisier à pois fait pâle figure.

- J'ai ce qu'il te faut, me prévient-elle.

Elle jauge ma poitrine d'un œil expert, amène un carton et en extirpe un soutif dans un emballage plastique.

- J'en ai déjà un.

- Attends, c'est le Push air Booster. Enfile-le! Il suffit d'appuyer là et tu règles le volume.

Le Push Air booster gonfle par en-dessous faisant remonter au balcon la peau qui me sert de sein. Elle me dit les vendre en réunion.

- Combien ?

- Cent vingt euros.

Je me décompose, prête à le défaire.

- Garde-le. Je te l'offre. Dit-elle avec le sourire serein de quelqu'un qui sera dorénavant à l'abri du besoin.

Aujourd'hui je dois superviser une réunion de cabinet. Je ne suis pas du tout sûr d'y arriver mais puisque Push Air Booster réussit l'impossible... Vingt minutes avant l'épreuve, Kévin me convoque dans son bureau pour un briefing. Si le bureau de Guibert, son associé, s'apparente à une chambre froide, dans celui de Kévin, c'est l'inverse. Je m'étonne que quelqu'un qui se prétende aussi respectueux de la nature pousse le thermostat du radiateur à ce point. A la seule évocation du travail qui m'attend : une série de protocoles auxquels mes capacités cognitives sont complètement étanches, j'ai une suée qui m'oblige de façon préventive à retirer mon gilet. Autant éviter que pour le reste de la journée, mes aisselles ne jouent le rôle de diffuseur d'odeur dans cette atmosphère confinée.

Kévin jette vers moi un regard qui glisse de l'étonnement vers la gêne. Il poursuit son exposé sans oser relever les yeux plus loin que l'extrémité de son bureau. Pourquoi Béné a-t-elle attendu que je ne sois plus célibataire pour me présenter cette innovation ?

- Tu te sens prête ? me demande t-il, gentil et encourageant.

- Oui. Le peu de temps qui nous sépare du début de la réunion me contraint au mensonge.

Il s'approche comme pour me parler à voix basse. Je m'attends à une mise en garde contre la perfidie qu'il m'a semblé déceler chez un de ses associés mais la recommandation est de toute autre nature.

- J'aimerais que mes collaborateurs suivent attentivement la réunion. Remets-ton gilet.

Béné va décrocher le jackpot samedi prochain. En attendant, pour moi, c'est encore le début de la première semaine.

Avant que mon incompétence ne s'étale au grand public (quatre juristes et trois avocats autour de la table ovale), j'aimerais que le temps suspende son cours. J'entre dans la salle aux côté de Kévin, en tailleur et escarpins. Cet uniforme était improbable il y a encore six mois où mon emploi consistait à récurer les toilettes d'un long séjour, sous la supervision d'une matrone revêche. Je me demandais alors comment les aspirations professionnelles de l'enfant que j'avais été aient pu se solder par une telle déconvenue. En comparaison, l'emploi que j'occupe aujourd'hui, même aussi précaire qu'il risque de se révéler dans quelques heures, constitue une évidente promotion.

Ma mission consiste à prendre des notes sur le PC pendant que les costumes-cravates exposent leurs dossiers. L'un d'eux entame, il parle à la vitesse où des gerbes d'eau dévaleraient un torrent. Et merde !... L'ordinateur refuse d'aller au-delà de la page d'accueil. Kévin, à mes côtés, tape un code et me le retend. Ouf !



L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 1 : enquête préliminaireWhere stories live. Discover now