Agustin était parti en courant. Durant la guerre, il avait du de nombreuses fois courir pour sauver sa peau, ou celle d'un camarade mais jamais il n'avait eu ce point l'impression que sa vie dépendait de ce qui se trouvait au bout de sa course. Il s'immobilisa finalement devant la porte où le grand cheval poussait de la tête sa femme en boule par terre en larmes...
- Tomine... oh Tomine... pardon, pardon...
Surprise, elle leva les yeux sur lui. Sa réaction lui fit mal, elle s'essuya vivement les yeux et se releva en vitesse. il nota qu'elle manqua de tomber.
- je te fais honte, pardon... tu m'as cherchée pour m'occuper d'Anahéra et je n'étais pas là, je suis désolée... je viens... ne te fâche pas Leila a promis de ne pas parler de mes... humeurs... je viens...
- attends...
- Agustin, ne crois pas que je ne veuille plus de toi... mais là, ici... j'ai pas trop envie... excuse moi...
Les yeux écarquillés, il recula les deux mains en l'air.
' comment j'ai pu te faire ça???'
'comment peut on démolir quelqu'un à ce point???'
- non, et ne t'excuses plus... non, tu ne comprends pas...
- oh, d'accord... je suis désolée de ne pas avoir compris...articula t elle en luttant contre sa panique qui revenait.
'qu'est ce que je peux dire ou faire???'
- j'ai trouvé ton cahier... j'ai lu tes poèmes...
- ...
- je suis dévasté, je n'ai rien compris, je t'ai fait tellement de mal, tellement de peine... c'est moi qui doit m'excuser...
- je vais y arriver, j'ai beaucoup réfléchi, il doit exister des cachets pour que... tu puisses retrouver ... l'Etna... pas tout le temps... parce que ce n'est pas moi... enfin, si tu veux... à moins que tu ne veuilles plus de moi...
- je t'en prie...
- qu'est ce que tu veux?
- Toi.
- mais ce n'est pas moi Agustin, souffla t elle sans plus un gramme d'oxygène dans les poumons, la nympho que j'ai été pendant ma grossesse ce n'est pas moi... j'en ai parlé au gynéco que tu m'appelais Fort Nox maintenant, il dit que cette... nymphomanie c'était une réaction de panique au fait d'être enceinte, j'ai toujours eu besoin d'être dans les bras de quelqu'un... ben c'était tellement difficile que ça a donné une chaudasse hystérique... mais ce n'est pas moi... si tu réfléchis je n'étais pas comme ça avant... et quand j'y repense ça me gène... mais j'ai compris que toi, tu préférais...
- tu te trompes...
- comment ça?fit elle dans un souffle d'air avant de se laisser tomber, incapable de se tenir debout une seconde de plus.
- est ce que tu peux te taire et m'écouter...et respirer... ajouta t il inquiet de ses lèvres qui bleuissaient.
- oui oui, souffla t elle en baissant les yeux en obéissant, soulagée de retrouver peu à peu une respiration plus efficace.
- non, pas comme ça...
- qu'est ce qu'il faut que je fasse Agustin... fit elle en regardant rapidement sa montre.
- tu viens de ne pas oser me dire que l'heure du bib approchait???
- ne cries pas, s'il te plaît, ne te fâche pas... supplia t elle consciente qu'elle ne pourrait pas supporter deux crises l'une après l'autre.
- OK, je ne crie pas, je ne me fâche pas... toi, tu trembles tu dois être gelée... rentrons...
- d'accord, je vais me passer de l'eau sur le visage, ils ne verront rien, ne t'en fais pas...
Il s'interposa alors qu'elle s'approchait de l'abreuvoir.
- cette eau est gelée...
- pas le choix, sinon tout le monde va voir que j'ai pleuré...
- tu ne veux pas...
- bah oui, ils pensent tous que c'est à cause de toi et parlent mal sur toi, ce n'est pas mon rôle ici, de te faire des problèmes...
- ce n'est pas à cause de moi que tu as pleuré?
Elle resta un moment silencieuse, comment éviter de le vexer une fois de plus?
- non, c'est parce que je suis incapable de te satisfaire...
- oh lala... viens, viens il faut qu'on parle...
Il lui prit la main et la conduisit dans le baraquement des gauchos à l'étage. Il y avait un vieux poêle à bois qu'il alluma avant de se tourner vers sa femme qui n'avait pas bougé la mine inquiète.
- est ce que je peux te prendre dans mes bras... demanda t il la voix cassée d'émotion.
- oui.
Il le fit doucement.
- là, fit elle, il y a deux mois j'aurais eu le feu à la culotte et je me serais frottée contre toi comme une pute... j'ai du mal à me forcer à faire ça... mais ça ne veut pas dire que je n'apprécie pas... j'ai tellement besoin de tes câlins...
- n'utilise pas le mot pute pour parler de toi...je t'en prie...
- d'accord. Pardon.
- et ne fais plus ça...
- ça quoi?
- 'd'accord. Pardon, yeux baissés', ça non plus ce n'est pas toi.
- si je ne fais pas ça, je te contrarie... et on s'engueule... j'ai plus de force pour ça... j'ai besoin de toi... et quand je te casse les pieds, tu t'en vas... et j'ai mal... alors...
- ta mère avait raison, tu avais besoin de câlins et moi je n'étais pas là pour toi, même quand tu as failli te faire violer quand tu t'es fait agressée... et qu'ils ont fait du mal à Anahéra... pardonne moi... tu devais être tellement mal... j'ai été tellement méchant avec toi que tu n'oses même plus me regarder...
Elle leva doucement le visage vers le sien et planta son regard dans le sien.
- j'ai lu ton cahier, répéta t il, j'ai lu ta peine, le mal que je te fais... mais j'ai lu combien tu m'aimes...
- oui, sourit elle tristement, bien sur...
- et j'ai aussi lu que tu as perdu l'amour de ta vie... articula t il.
- ...
- tu te trompes...
Elle répondit rien mais détourna les yeux. Il prit son visage en coupe entre ses mains.
- là, tu te tais pour ne pas me contrarier...
- on devrait rentrer, non?
Il soupira mais ne la lâcha pas.
- là, moi j'entends ' bon lâche moi, tu ne mets mal à l'aise j'ai pas envie d'être dans tes bras'.
- moi, je voulais dire 'arrêtons là cette discussion qui va fatalement finir en engueulade, mais qu'est ce que ça m'a fait du bien d'être dans tes bras'.
Il l'attira contre lui.
- pourquoi fatalement on va s'engueuler?
- ... parce que... tu ne m'aimes plus... c'est un fait... répondit elle d'une petite voix, tu n'y as peut être pas réfléchi mais si tu es honnête, tu l'admettras...
' oh putain...'
- pourquoi tu es là, si c'est ce que tu crois? Demanda t il en tremblant.
- parce que je suis ta femme, la mère de ta fille et que je t'aime... j'ai besoin de toi... je pense que si tu arrêtes d'être tout le temps enragé après moi, on peut donner le change ici... même si il te faut l'Etna de ... quelqu'un d'autre...
' oh putain, putain de merde'
- je ne veux personne d'autre... et je t'aime de toutes mes forces...
- et alors tu m'aimes si fort mais tu n'as plus besoin de câlins ou de baisers, tu ne supportes plus de parler avec moi ou de te réveiller près de moi... sois honnête Agustin...grinça t elle.
' Mina, je t'en prie...'
- et quand tu viens de te faire agresser je n'ai pas envie de te serrer dans mes bras... ajouta t il à sa place...
- c'est la vérité Agustin... et je l'accepte... cette grossesse aura vraiment été un cauchemar du début à la fin... là, tu vas devenir enragé parce que ça englobe notre voyage de noce...
- non... c'est un super souvenir mais il aurait été encore plus magique si tu n'avais pas été enceinte... mais j'en ai adoré chaque seconde...
- moi aussi.
' ah là, on est d'accord'
Il la souleva d'un geste rapide et vint s'asseoir sur la banquette un peu bancale devant le feu. Il la garda contre lui sur ses genoux et planta son regard grave dans le sien.
- je vais essayer de t'expliquer ce qui s'est passé dans ma tête et que je t'aime très fort.
- attends... pardon mais où est Anahera?
- mon père et toutes les filles de cuisine s'occupent d'elle, j'avais préparé son bib...
- crois pas que...
- chut... écoute moi... j'ai rien géré niveau émotions de toute ta grossesse, c'est toi qui disait où était le nord... et quand Anahéra est née, je suivais toujours ton cap... j'ai pas vu ton angoisse pour la contraception, j'ai pas senti que tu redevenais toi même... et je suis resté sur ma vexation... comme un con... pourtant en lisant ton poème, j'ai chialé d'émotion, je retrouvais ma petite Mine d'avant, la femme dont j'étais tombé amoureux fou à lier... toute douce, toute... Koala... et tellement délicieuse... au lit... je n'ai pas passé 6 mois avec une pute, Tomine, mais j'avais pas non plus deviné que ça cachait une aussi profonde trouille, mais c'était toi, dépassée par tes hormones mais toi, pas une pute vulgaire et choquante... mais comme j'ai rien vu, je ne retrouvais plus l'Etna et j'ai pensé... comme un connard... que tu ne voulais plus de moi... et j'ai cherché à me protéger en prenant le large... après ton agression, je n'ai pas osé te prendre dans mes bras, j'étais sur que tu m'en voulais de ne pas avoir été là pour te défendre... pour vous défendre et j'étais certain de me faire dégager... pardonne moi... tu t'excuses tout le temps mais c'est moi qui ai tellement de choses à me faire pardonner... je comprends maintenant... le matin en allant chercher Max, j'ai cru me prendre un vent mais toi, tu ne voulais pas qu'on soit en retard et tu as cru que je voudrais baiser... en cherchant à faire diversion pour ne pas me dire non...
- bah... j'en avais envie matin, midi et soir avant d'accoucher, grinça t elle, quand on était sur le bateau il y a même un matin où ça m'a réveillée... d'avoir envie... je crois que je suis pas Fort Nox... mais pas l'Etna non plus...
- pardon, pardon...
Il la sentait commencer à se détendre contre lui. Elle reprenait des couleurs et respira un grand coup avant de se lancer courageusement.
- tu sais... moi enfin dans notre façon d'être nous deux... c'était pas moi qui... enfin, c'est toi le mec... et... et ben, moi c'est comme ça que je marche... je veux dire au lit... la fille qui te sautait dessus et te foutais à poil en deux minutes... c'est pas moi... tu vois je suis mal à l'aise d'y repenser... tu comprends? Mais tu as le droit de regretter...
- j'ai mal de ce que je t'ai fait, Mina... non, je regrette pas l'Etna, je voudrais retrouver ma petite mine heureuse mais j'ai tout fait de travers...
- on est paumé tous les deux, je crois...
- ...
- j'ai peur tu sais...
- de moi?
- ... non... de croire qu'on est de nouveau... nous deux et que demain matin ça recommence... comme à chaque fois...
- moi aussi...
Il respira un grand coup en la serrant un peu plus.
- et si, on se barrait notre niña et nous deux, on va au chalet, et on se fait une cure de câlins koala et de discussion, bon un peu de galipettes aussi? Je veux dire ici, on nous regarde tout le temps de travers, enfin surtout moi, je me suis frité même avec Stella...
- comment ça?
- quand j'ai trouvé ton cahier j'ai voulu te retrouver... elle m'a claqué et m'a envoyé promener... c'est le padre qui a accepté de la garder... d'ailleurs, dans le genre je suis un sale con, j'ai tout raconté à mon père après avoir passer deux mois à t'empêcher de le faire avec ta famille...
Tomine avait les sourcils froncés, il frémit en attendant l'engueulade qu'il savait mériter. Elle choisit de prendre les infos une à une.
- ton père est au courant pour ton opération?
- non, mais j'ai chialé comme un abruti et lui ai balancé toutes nos embrouilles... pardonne moi...
Pas de drame, juste une main tremblante sur son visage... et des yeux malheureux de l'imaginer en larme dans le bureau de son père. Ses lèvres se posèrent doucement sur les siennes... tendrement, sensuellement... comme avant...
- on s'en va juste nous trois et basta? Demanda t elle tout contre ses lèvres.
- oui, oui je t'en prie...
- mais il y a le projet d'école...
- on n'est pas si loin... de l'hacienda et encore plus près du village... Stella pourra nous garder notre niña...
- non.
- merci... merci ma belle Mina!!
' te revoilà naturelle et décidée... oh je t'aime tellement!!'
- merci de quoi?
- tu as dit non, en me regardant... comme avant... s'extasia t il avant de l'embrasser doucement, le regard plein d'espoir.
- Stella n'a pas voulu garder Anahéra quand tu t'inquiétais pour moi, c'est bien ça?
- oui, Mina, elle a dit que je devrais avoir honte de te traiter comme je le fais... et j'ai honte effectivement...
- et c'est une gamine de 9 ans à peine qui se permet de juger notre couple?
- je lui ai fait signe de fermer sa bouche et de sortir de ta chambre...
Il constata que sa femme avait des éclairs dans lesyeux.
- hey, elle t'aime beaucoup...
- oui mais ça n'empêche pas de dépasser les bornes des limites...
- tu es d'accord pour filer? Demanda t il tout bas.
- oui...
- alors rentrons et on se sauve après manger... pour avoir le temps de s'installer avant la nuit. Ça te va?
- oui... répondit elle en se levant, mais il la retint par la main.
- je t'aime Tomine Galiano, je t'aime de toute mon âme, je n'ai besoin de personne d'autre dans ma vie, tu es la femme de ma vie, tu es parfaite pour moi, je n'ai jamais cessé une seconde de t'aimer depuis le jour où on s'est rencontré... n'en doute plus jamais, je t'en supplie...
Là, ce fut trop, Tomine éclata en sanglots. Il sauta sur ses pieds pour l'enlacer.
'et merde, oh non, ne sois pas triste...'
'ou alors t'es trop heureuse????'
' j'en sais rien'
- pourquoi tu pleures, Mina?
- ... je ne sais pas...
' bon, on est deux...'
- tu es fâchée?
- non, non, je t'aime si fort...
- moi aussi, rigola t il, mais ça me fait pas pleurer...
- ...
Une fois de plus, elle garda ses commentaires pour elle. Il n'était pas dupe mais choisit de lui laisser du temps...