Pendant ce temps, Öta voyageait à la recherche de Elen.
Il avait commencé par les différents villages entourant le domaine où David était né. Si Elen cherchait son frère, il avait de grande chance de passer par là.
Malheureusement, il ne le trouva pas.
S'il rencontra quelques villageois ayant peut-être vu un jeune homme correspondant à cette description, aucun ne pouvait affirmer qu'il s'agissait bien de Elen, ni même lui indiquer l'endroit où il se rendait.
Öta avait quelques idées idées en réserve. Lors de son séjour chez Léo, ce dernier n'avait pas été avare de détails.
Il faut dire que Öta était très curieux et n'hésitait pas à poser mille questions. A l'époque, il ne se serait jamais douté que sa curiosité maladive lui serait utile.
La brume recouvrait la région lorsqu'il arriva au village de BrancheNoire.
L'une des villageoises de BrancheNoire lui indiqua qu'un homme de ce nom se trouvait bel et bien dans la région.
La rumeur disait qu'il s'était établi dans une forêt non loin d'ici et qu'il y écrivait des livres.
Elen, le frère de David, était scribe. Öta décida de vérifier si cette rumeur était bien fondée.
Le lieu en question était un petit hameau où s'étaient installées plusieurs personnes.
Öta douta. Que viendrait faire Elen ici ?
La forêt était l'une des plus grandes de la région. Néanmoins, Öta n'eut pas de mal à la traverser car l'endroit était parsemé de sentiers.
On lui avait indiqué qu'il pouvait s'orienter grâce au chêne qui surplombait la forêt. En se dirigeant vers lui, il ne pourrait pas se perdre. De nombreuses légendes florissaient sur cet arbre, alimentant le folklore régional.
Le hameau se trouvait à ses pieds. C'est un homme qui lui indiqua la maison du scribe et Öta toqua à sa porte.
Cette scène lui rappela sa rencontre avec Léo. Mais cette fois, David n'était pas avec lui. Cette pensée lui serra le cœur.
Une femme ouvrit la porte. Elle était d'une grande beauté, ses cheveux étaient noirs comme le jais et ses yeux d'un bleu très clair.
Lorsqu'elle demanda à Öta la raison de sa visite, ce dernier expliqua immédiatement la situation. Il y avait de l'espoir dans sa voix. Il priait pour que cette piste soit la bonne.
Mais lorsque la femme soupira, il comprit qu'il avait fait fausse route. Elle expliqua que son mari se nommait Elan et non Elen.
« Pour les villageois, toute personne sachant écrire est un scribe. Tu ne peux te fier à eux. Il n'est pas l'homme que tu cherches. »
Les épaules de Öta s'affaissèrent. Cette piste ne l'avait mené à rien. Où devait-il aller maintenant ?
Il n'avait pas choisi la quête la plus aisée, mais il comptait s'y tenir. Ce n'était pas la première fois qu'il se trompait.
Mais alors qu'il allait repartir, la femme lui proposa d'entrer.
« Il ne va pas tarder à faire nuit et tu as l'air malade. Tu peux dormir dans la grange si tu veux et repartir demain. Mon mari à beaucoup voyagé, peut-être qu'il saura te conseiller. »
Lorsque Öta s'étonna de son hospitalité, lui conseillant d'être plus prudente, elle répondit :
« Je te retourne le conseil. Tu devrais te méfier, je pourrais très bien être une ogresse qui attire les jeunes hommes dans son antre pour les faire cuire dans sa marmite. »
La femme était très chaleureuse. Elle proposa à Öta de s'installer en attendant le retour de Elan, qui ne devrait plus tarder et ils discutèrent pendant ce temps.
Elle s'appelait Alda. Avec son mari ils étaient des guérisseurs et herboristes.
Ils s'étaient rencontrés une quinzaine d'années plus tôt et leur passion pour les plantes les avait tout de suite rapprochés.
Lorsque Elan arriva, Öta fut surpris.
Il s'attendait à rencontrer un Humain ou un Orian... pas du tout à tomber sur un Etris.
Mais ses oreilles ne laissaient aucun doute sur ses origines animales.
Les Etris étaient une race très rare dans le Nord. En dehors de son propre père, Öta n'en avait jamais vu jusqu'aujourd'hui.
Après l'avoir rapidement examiné, Elan décida que Öta devrait rester le temps de se rétablir.
Le jeune homme était malade et fatigué, il n'était pas question de le laisser partir dans cet état.
C'est réchauffé par le feu et l'odeur du potage, au fond d'un fauteuil, que Öta s'endormit. Le couple le laissa se reposer là, le couvrant d'une couverture.
« Ce garçon est rongé par la peine, ça me fend le cœur. Son regard est triste...
- C'est cette manie que tu as de vouloir réparer tous les cœurs brisés que tu croises, qui fait que je t'aime tant. »
Les jours qui suivirent furent difficile pour Öta. Il n'avait pas l'habitude de rester inactif, encore moins chez des inconnus. Il voulait aider, servir à quelque chose.
Il se sentait mal d'abuser de leur hospitalité.
Mais quand il s'agissait de santé, Elan était aussi têtu qu'une mule. Le jeune homme ne pouvait pas en placer une et fut forcé de se reposer contre sa volonté.
Néanmoins, même s'il n'appréciait pas le côté autoritaire de Elan, Öta se sentait bien ici.
Alda était chaleureuse et maternelle. Elle lui apportait de quoi reprendre des forces et l'écoutait parler avec patience.
Petit à petit, Öta commença à se sentir mieux.
C'est en sentant ses forces revenir et la fatigue s'évaporer qu'il se rendit compte à quel point il avait été malade.
Pourtant, il savait qu'il ne fallait pas prendre ce genre de choses à la légère. Beaucoup de personnes mourraient tuées par le froid.
Sa sœur en était le parfait exemple. A peine née, à peine morte.
Il ne se souvenait pas d'elle, il était trop jeune à l'époque. Mais sa mère lui avait raconté cette histoire de nombreuses fois.
Qui sait, peut-être aurait-il rejoint sa mère et sa sœur s'il n'était pas tombé sur Alda et Elan ?
Étrangement, même s'il était soulagé de se sentir mieux, l'idée d'être emporté par la maladie ne l'avait pas dérangé plus que ça.
Quand Öta fut un peu plus en forme, Elan lui fit visiter son atelier.
Sa curiosité prit rapidement le dessus sur la morosité. Tant de choses à voir ! Il posa de nombreuses questions, s'intéressant à tout ce qu'il découvrait.
Elan fut étonné. Öta était loin d'être ignorant. Il était bien plus cultivé qu'il ne l'avait laissé paraitre.
Il connaissait les noms et symboliques de la plupart des plantes de son atelier, ainsi que leurs effets. Il posa des questions précises qui interloquèrent l'herboriste.
Quand ce dernier s'en étonna, Öta lui expliqua qu'il avait eu des leçons à ce sujet dans sa jeunesse.
Ses parents lui avaient fait suivre de nombreux cours dans des matières très variées, dépensant une fortune auprès des meilleurs précepteurs.
Si Öta n'avait jamais été un élève très attentif, préférant jouer à la plupart des leçons, il y avait tout de même quelques sujets qui l'avaient passionnés. Dont celui-ci.
Lorsque Elan lui proposa de le former, Öta ne sut pas quoi répondre.
On lui avait toujours répété qu'il était un peu bête et qu'il n'avait aucun talent.
Dans son dos, nombreux étaient ceux à se moquer de lui, à affirmer qu'il ne ferait jamais rien d'utile dans sa vie.
Qu'il était stupide...
A force, il avait finit par se persuader qu'ils avaient raison. Qu'il ne valait rien...
Alors, voir l'homme s'extasier et le complimenter le troubla.
« Ce serait du gâchis de ne pas exploiter ces connaissances ! »
Öta ne répondit pas immédiatement à la proposition de Elan. Il prit le temps de réfléchir.
Que devait-il faire ? Accepter ? Refuser ? Il n'en avait aucune idée.
Il n'avait pas vécu assez longtemps sous le toit du couple pour pouvoir affirmer les connaitre. Mais il s'était attaché à eux. L'idée de rester était séduisante.
Leur maison était chaleureuse et confortable. Elle lui rappelait le foyer de son enfance, celui qui aujourd'hui était devenu froid, empestant la mort et le désespoir.
Ici, il se sentait bien.
Mais il s'était juré de retrouver Elen. Il avait passé tant de temps de sur les routes à le chercher, encore et encore, qu'il n'arrivait pas à s'imaginer faire autre chose.
Il avait suivi toutes les pistes de Léo, en vain. Le jeune homme s'était comme volatilisé dans la nature.
Combien de temps ça lui prendrait de le retrouver ? Il avait été si optimiste... Il se rendait compte maintenant qu'il n'était pas le héros d'un roman. Son chemin n'était pas tout tracé. Allait-il poursuivre cette quête toute sa vie ? En valait-ce la peine ?
Avait-il le droit de rebrousser chemin ?
Il commençait à douter.
Quand il se confia à Alda, elle lui répondit :
« L'important n'est pas ce que tu dois faire, mais ce que tu souhaites vraiment. »
Ce qu'il souhaitait vraiment ?
Il mourrait d'envie de revoir David. D'entendre sa voix. De le serrer dans ses bras.
Mais chaque fois qu'il pensait à lui, c'est son cœur qui se serrait.
Il mourrait d'envie de dire oui à Elan. D'apprendre. De trouver sa voie. De pouvoir faire quelque chose de sa vie, quelque chose d'utile.
Et si l'homme avait raison ? Il avait des connaissances. S'il apprenait à s'en servir, il pourrait sans doute aider les gens autour de lui.
Apporter son soutien, être à l'écoute, soigner les gens... tout comme Elan et Alda l'avaient fait avec lui.
Finalement, Öta décida de tenter sa chance.
Il savait qu'autrement il regretterait toute sa vie son choix. Le couple avait tant de choses à lui apprendre, c'était l'occasion rêvée.
Il écrivit une lettre à David, pour lui raconter. Il évita encore une fois de parler de Elen et de des recherches, s'empêtrant un peu plus dans les non-dits.
Comme Elan avait encore beaucoup de travail et de commandes à honorer, il ne pouvait pas s'occuper de Öta immédiatement.
Il lui laissa l'accès à ses livres, afin que Öta puisse les étudier en attendant. Il y avait toute sorte de grimoires, carnets de recherches, vieux livres, herbiers etc...
Un vrai trésor.
Évidement, Öta se jeta sur les ouvrages. Il y en avait de toute sorte et tous n'étaient pas dédiés aux plantes.
Il y avait aussi des livres de contes, des histoires que Elan avait retranscrites et illustrées. Des carnets qui parlaient de ses voyages ; certains étant parfois très détaillés, d'autres parfois très vagues.
Öta savait qu'il aurait dû se plonger immédiatement dans les ouvrages traitants des herbes, de la médecine, etc... mais sa curiosité et son attrait pour les légendes étaient bien trop forts.
En lisant ces livres, il repensa à David.
Ça lui manquait de lui faire la lecture, posé contre lui. Il se remémorait sa chaleur, son souffle, sa voix...
David aurait sans aucun doute adoré ces histoires. Öta espérait les lui raconter lorsqu'ils se reverraient.